Séminaire européen sur l’autisme à Saragosse Une mobilisation exceptionnelle de familles et de professionnels
Par Dominique Holvoet
Dans le numéro 698 de “Lacan Quotidien” Bruno de Halleux annonçait la tenue d’un Séminaire européen sur l’autisme à Saragosse du 28 au 30 septembre 2017. Il vient de s’achever avec succès. L’originalité du projet tenait à ce que l’initiative rassemble familles de personnes autistes et psychanalystes. Jesús Sebastián, Gracia Viscasillas et Pedro Gras, membres de l’ELP ont gagné, avec les familles de Teadir Aragon, leur pari ! Près de 500 participants étaient au rendez-vous au Teatro de la esquina dans un ensemble flambant neuf bâti sur le domaine de l’ancien asile, sauvegardé de la voracité immobilière par la pression sociale des mouvements de quartier. La Plaza de la Convivencia est ainsi devenue un grand espace civique convenant particulièrement pour notre rencontre.
Le Séminaire a reçu l’appui de la Commission européenne, dans le cadre d’un projet Erasmus+, déposé par des institutions du Champ freudien de cinq pays européens : Fundación Atención Temprana, Torreon et Patinete en Espagne, Le Courtil et l’Antenne 110 en Belgique, l’université de Rennes 2, Nonette, la Fondazione Martin Egge en Italie et l’Association « Enfant et Espace » en Bulgarie. Les associations de familles, d’amis et de personnes autistes étaient également sur le pont : des représentantes de différentes antennes de TEAdir ainsi que de la Main à l’Oreille France et Belgique se sont exprimées pour soutenir une approche de la personne autiste qui prenne en compte sa subjectivité et accueille ses inventions.
Le Séminaire se tenait sur 3 jours. Une première journée a rassemblé les promoteurs du projet afin d’échanger sur les pratiques de chacune des institutions en dialogue avec les familles. Le label de “bonnes pratiques” fut d’emblée contrarié par l’évidente nécessité d’offrir au sujet autiste un accueil ouvert à ses inventions. Nous avons fait le constat que partout en Europe les pratiques devraient se soumettre à la validation de l’Evidence Based, tout en constatant de concert que cette sémantique de l’union était interprétée de façon variée selon les pays, voire selon les régions – sauf dans les pays au pouvoir centralisé qui impose sans nuance ses options. Nous avons considéré avec réalisme ce que l’application de pratiques protocolisées déterminées par avance, car fondée sur des données factuelles, pouvait provoquer de ravages auprès des sujets autistes. La formule de Maria Jesús Sanjuan, présidente de Teadir Aragon, a résonné au long du séminaire et fut encore rappelée le troisième jour par Carlos David, jeune homme autiste participant : ce que les techniques du comportement requiert de l’autiste peut s’équivaloir à demander à un invalide de se lever de sa chaise roulante. Ils ne s’aperçoivent pas que “beaucoup d’autistes ont des sérieuses difficultés avec la corporalité, même si aucun de ses membres n’est affecté”.
Le deuxième jour était ouvert à un large public convié au Teatro de la esquina. Des familles, des professionnels, de nombreux étudiants étaient au rendez-vous pour entendre 10 heures durant des interventions de psychanalystes, de professionnels travaillant au côté de sujets autistes, de familles et d’acteurs politiques. La directrice de l’Observatoire Autisme de l’Euroférération de Psychanalyse, Vilma Coccoz, ponctua la journée par un exposé reprenant une à une les interventions afin de montrer par les multiples récits rapportés, à quel point l’approche analytique offrait au sujet autiste, enfant comme adulte, une série d’options parmi lesquelles il pouvait opérer un choix. Il ne s’agit pas ici de résumer les multiples interventions mais d’indiquer l’axe de réflexion qu’a offert cette journée qui fut une conversation continue entre les familles, les sujets autistes et les professionnels. Ce n’était pas le lieu pour une élaboration clinique, une construction de cas ou l’épistémologie de la causalité psychique, ce n’était pas un Séminaire d’études psychanalytiques – qu’il convient par ailleurs de poursuivre et soutenir largement dans toute l’Europe. Il s’agissait à Saragosse que chaque partie impliquée dans la préoccupation de l’avenir des sujets autistes puisse s’écouter, entendre particulièrement ce que les mères – les pères se sont fait discrets – ont à nous dire : il faut changer le regard sur l’autisme !
Il s’agit de contrer l’ambiance utilitariste de l’époque – une existence n’a pas besoin d’être utile pour se justifier, indiquait Jean-Pierre Rouillon. Nous travaillons avec des sujets qui ne peuvent travailler car leur travail est de construire le monde, le réinventer tous les jours et témoigner de la beauté des choses. Ces sujets plus que d’autres nous apprennent à prendre la mesure de ce qu’est l’homme. Et Francesc Vilá de ponctuer : “la chronicité n’est pas le dernier mot”.
Le Dr Jean-Robert Rabanel, souligna le ton de modestie et de force de ce Séminaire. “Personne n’a le savoir qu’il faut pour l’autisme, la modestie s’impose donc et les différentes parties ont leur partition à jouer : professionnels, parents, autistes eux mêmes, institutions et isolés”. Il a souligné que le Champ freudien a le premier soutenu les initiatives institutionnelles du Ri3, que l’ECF s’est à sa suite engagé dans la bataille de l’autisme, il a souligné le rôle de l’Institut de l’enfant dans l’Université Populaire Jacques Lacan et enfin a annoncé la création toute récente du CERA, le Centre d’Etudes et de Recherches sur l’autisme. L’accueil du sujet autiste ce n’est pas seulement dans le cabinet ou l’institution, c’est dans la langue de l’Autre qu’il s’accomplit.
Le troisième jour nous nous sommes retrouvés entre promoteurs du projet avec d’autres partenaires institutionnels et d’associations de parents afin de dessiner les contours de l’événement et de réfléchir à la suite à y donner. Erich Berenguer, président de l’ELP, Vilma Cocoz directrice de l’observatoire sur l’autisme ainsi qu’Andres Borderias, responsable de la fondation pour la clinique lacanienne en Espagne nous ont rejoint.
Quelle(s) réponse(s) apporter aux différents plans autisme mis en œuvre dans chaque pays ? La France en est à son 4è plan. L’Espagne élabore un premier plan dont on sait qu’il sera balisé par l’evidence based practice appliquée tant au domaine de la santé que de l’éducation – les deux domaines tendent de fait à se conjoindre dans le surmoi contemporain où l’exigence d’une bonne santé mentale appliquée à tous rejoint la volonté d’établir des conduites adéquates à l’aide de méthodes éducatives conformes. Mais c’est oublier la leçon freudienne de l’éducation et du traitement comme deux métiers impossibles ! La fureur de guérir dont Freud requérait de se départir tout comme les recettes éducatives qui par nature ignore le transfert s’unissent pour dire au paralytique : lève-toi et marche ! La question soulevée alors par Frances Vila fut de savoir la place à faire à l’incurable. L’evidence c’est ce qui insiste et n’a pas de solution – ce que nous appelons le réel. Avec nos repères, notre clinique du symptôme et notre éthique du sinthome, nous avons les outils à la fois conceptuels et pragmatiques pour répondre à l’énigme que l’autiste pose au monde. Dans ce mouvement s’inscrit aussi le souhait de réintroduire les malades comme citoyens – cela est cohérent avec la position freudienne. Mais à nouveau la novlangue européenne qui promeut l’inclusion peut être entendue de multiples façons dont la plus violente se retourne le plus souvent sur le malade déclaré indocile au traitement.
Pour faire entendre une approche qui fait place à l’indocilité, Chiara Mangiarotti a insisté sur l’importance de parler avec les familles. En Italie il n’y pas d’association de parents qui ne soient pas sous le label TCC. Comme en France, beaucoup est demandé à l’école publique pour traiter les autistes où les méthodes comportementales sont plus aisément applicables.
Les échanges ont mis en évidence la stérilité d’un débat opposant deux méthodes. La psychanalyse n’est d’ailleurs aucunement une méthode, l’inconscient est éthique, ce qui veut dire qu’il y a là un choix, une orientation, une tendance qui relève au final du goût de chacun. Une mère italienne témoigne que son fils a bénéficié favorablement de la méthode comportementale… jusqu’à la limite où il voulut être reconnu en tant qu’homme. Mariana Alba de Luna a insisté pour que l’on respecte le choix des parents qui ont opté pour des méthodes éducatives – mais ce n’est pas la psychanalyse qui attaque ces méthodes mais les TCC qui cherchent à éradiquer l’approche analytique. Une mère espagnole a souligné que cette fois les parents n’étaient pas invités mais partenaires et associés au projet. « L’approche analytique a ouvert pour moi plus qu’une fenêtre, tout un monde. Mais constituons-nous un danger pour qu’on nous tiennent à distance ? L’instrument perd de sa force si chacun reste de son côté ».
Il nous faudra penser comment prolonger cette conversation continue avec les familles. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises il ne s’agit pas de céder à la transparence absolue de l’époque car elle consacre la disparition de l’intime. Non pas que tout pourrait alors se dire, se voir et se savoir mais au contraire que plus rien ne sera accessible de l’objet indicible mis au jour par Freud et qui fonde la singularité de chacun.
Si l’on cède à ce mirage, alors oui le totalitarisme aura changé de camp. Il est tombé à l’Est le jour où je suis devenu père mais ne renaît-il pas de ses cendres sous d’autres formes à l’Ouest, comme nous le prédisait en 2000 un collègue arménien ? L’événement Saragosse fut une expérience d’Ecole m’écrit à l’instant Gracia Viscacillas. Nous sommes là pour préserver la découverte freudienne avec Lacan et il y a plusieurs voies pour y parvenir : l’analyse, la sublimation et la conversation.
01/10/2017
Publié dans Lacan Quotiden n°743 le 6/10/2017