La cause de l’Autisme : Une interview de Christiane Alberti
Une interview de Christiane Alberti, présidente de l’Ecole de la Cause freudienne par Patricia Bosquin-Caroz, directrice du Congrès PIPOL 8
20 décembre 2016 par Patricia Bosquin-Caroz
Patricia Bosquin Caroz — En France, il fut dernièrement question d’interdire la psychanalyse appliquée au traitement de l’autisme ? Que s’est-il passé ?
Christiane Alberti — En voulant « condamner et interdire » la psychanalyse « sous toutes ses formes » dans la prise en charge de l’autisme, le projet de résolution déposé à l’Assemblée nationale par le député Fasquelle et débattu le 8 décembre dernier, est apparu d’emblée comme un texte liberticide sans précédent. Il portait atteinte à l’évidence aux libertés fondamentales chères à notre pays, « patrie des droits de l’homme » : liberté de pensée, liberté académique, liberté de choisir sa méthode de soins et d’éducation…
Même à se limiter au traitement de l’autisme, ce texte foncièrement autoritaire, n’a d’équivalent que dans des régimes totalitaires. Aucune démocratie, aucun état de droit n’avait osé formuler une telle interdiction doublée d’une condamnation toute morale.
Cette résolution est contraire aux prudentes recommandations de l’HAS qui ont classé la psychanalyse parmi les méthodes « non consensuelles », et jamais parmi les « non recommandées ». Contrairement à ce qui est avancé, le projet s’appuie, en fait de science, sur une vulgate scientiste qui exige qu’un seul courant d’opinion, groupe de pression intéressé, soutenu par de puissants lobbys internationaux, règne en maître : celui qui assure la promotion et le marché des thérapies cognitivo-comportementales.
PBC — L’Ecole de la cause freudienne s’est très vite mobilisée contre ce projet liberticide. Quelle fut son action ?
CA — L’Ecole de la cause freudienne, avec l’Institut de l’Enfant, a pris l’initiative d’une lettre aux députés, soutenue par 102 premiers signataires qualifiés, lettre qu’il s’est agi de faire connaître, diffuser, signer. Notre premier objectif fut d’empêcher le vote de cette résolution. La mobilisation s’est avérée énorme d’emblée, d’une poussée constante qui n’a jamais faibli. Les moyens déployés, nombreux et alertes, ont suscité un élan, un entrain, indéniables qui indiquent qu’une telle initiative de riposte était attendue, et que nos collègues étaient bien décidés à croiser le fer avec tous ceux qui veulent interdire la psychanalyse. La pétition a recueilli en une dizaine de jours plus de 20 000 signatures. Elle a rencontré un désir.
Un blog fut créé pour y signer la pétition, www.cause-autisme.fr, puis enrichi en quelques jours d’un florilège d’articles et de rubriques. Un compte Twitter @lacauseautism a été mis en place ainsi qu’une page Facebook.
Conjointement à cette mobilisation, les délégations régionales de 17 ACF sont allées à la rencontre systématique des députés, pour les éclairer, les informer, les alerter, en comptant qu’ils s’opposeraient à ce texte illiberal et obscurantiste. Une édition spéciale du Nouvel Ane fut réalisée en deux jours et distribuée auprès de chacun des députés et sénateurs. Nul, dans l’Ecole et dans l’Institut de l’enfant, n’a ménagé ses forces pour faire entendre les enjeux cruciaux de ce vote.
Cette mobilisation populaire fut décisive. La résolution N°4134 invitant le gouvernement « à condamner et interdire la pratique de la psychanalyse sous toutes ses formes dans la prise en charge de l’autisme » a été rejetée par le vote de la majorité des députés participant au vote. L’épisode de cette résolution était clos. Mais le combat restait entier. En effet, pour qui a suivi le débat qui s’est tenu le 8 décembre à l’Assemblée nationale, il est peu douteux que si le texte avait été moins outrancier et plus respectueux de certaines conditions juridiques, il n’aurait pas suscité le même rejet, car son orientation générale suscitait l’adhésion de certains qui ont voté pour le rejet.
PBC — Votre action a pesé lourd dans la balance, vous avez pu éviter qu’un gouvernement ne condamne la psychanalyse et pourtant vous ne semblez pas rassurée. Vous allez poursuivre le combat ?
C.A — La prise en charge de l’autisme est assurément devenue une question brûlante de société, à voir la précipitation d’événements que ce vote a engendrés : articles dans la presse papier, dans la presse électronique, mentions ou commentaires sur différentes radios. Prises de positions politiques, auditions à l’Assemblée nationale. Cette résolution constitue une nouvelle stigmatisation des sujets autistes et des psychanalystes. Ceux qui l’ont soutenue espéraient sans doute surfer allègrement sur la vague de désinformation sans précédent qui accumule préjugés et contre vérités sur la psychanalyse : que les psychanalystes ne travaillent pas avec les parents, culpabilisent les mères, veulent enfermer les enfants autistes… Elle se traduit notamment dans les institutions par une véritable chasse aux sorcières.
Oui, d’autres combats s’annoncent, pour la cause de l’autisme et pour la psychanalyse. Le Blog La cause de l’autisme www.cause-autisme.fr entend y contribuer. Son objectif : informer, mobiliser, partager, faire connaître.
Il rassemble déjà un réseau de correspondants en régions. Car la prise en charge de l’autisme connaît une situation fort préoccupante. De graves carences dans les prises en charges et accompagnements des autistes sont indéniables et nous avons à constituer un lieu d’adresse pour que ces manquements et les souffrances qu’ils engendrent puissent se dire. Ce blog veut contrer l’offensive tendant à interdire la psychanalyse. Il peut être une base pour cette contre-offensive.
PBC — Vous évoquez une offensive…
CA — Car c’est bien cela qui en définitive était en jeu dans cette résolution : une offensive sans précédent qui vise à faire interdire la psychanalyse, de l’espace public dans un premier temps. Elle révèle que l’autisme est un cheval de Troie pour les TCC. Mais pourquoi, comme l’a si bien dit Jean-François Cottes, « ont-elles besoin des pouvoirs publics, du gouvernement, de l’Assemblée Nationale pour assurer leur promotion, et même pour se faire imposer de force ? ».
Disons qu’elles incarnent la méthode, la rhétorique, le discours qui convient à l’idéologie de l’évaluation. Et l’évaluation apparait aujourd’hui comme la seule idéologie consistante qui dans le champ académique, sanitaire et social, rencontre comme seul verrou la psychanalyse, en ce qu’elle se fonde, qu’elle se transmet, via le transfert. Que pourra-t-on contre la force du transfert ?
Depuis plusieurs années, l’Ecole de la Cause Freudienne à travers ses Journées d’études, ses moyens de diffusion numériques, visent à rendre plus visible, lisible ce qu’est la pratique de la psychanalyse aujourd’hui : une pratique rigoureuse et contrôlée, en constante évolution. Cet accent tient compte du contexte actuel de l’Ecole, son contexte direct, à savoir le champ psy. Il s’agit de prendre la mesure de l’évolution de ce contexte ces dix dernières années, dés lors que les institutions sont sommées de marcher au pas de la biopolitique. La psychanalyse ne dispose plus des relais qu’elle a eus pendant des décennies, dans le champ universitaire. Et le contexte académique nous est défavorable, à considérer les politiques publiques relatives aux champs sanitaire et médico-social. Il s’agit de compenser ce déficit dans la diffusion et dans l’adresse. D’où l’enjeu de mesurer et comprendre l’ampleur de l’évaluation et de ses conséquences. « Il était fatal que les psychanalystes se choquent avec les évaluateurs » avait avancé J.-A. Miller dans Voulez-vous être évalués ?
PBC — Et maintenant ?
CA — En décembre 2016, tout un peuple s’est levé pour dire non à l’interdiction de la psychanalyse. C’est une vague qui va s’amplifier et qui aura des suites…
La cause de l’Autisme : L’échec temporaire d’une propagande par Gil Caroz
L’échec temporaire d’une propagande par Gil Caroz, vice-président de l’ECF
20 décembre 2016
Le 8 décembre 2016, à l’Assemblée nationale, ce sont les dénégations de Mr Fasquelle, poussé dans ses derniers retranchements lors du débat sur sa proposition de résolution, qui ont signé un échec momentané d’un programme de propagande contre la psychanalyse. Non, s’est-il exclamé, ce n’est pas un combat contre la psychanalyse. Non, a-t-il ajouté, ce n’est en rien totalitaire. Non, ajoute le psychanalyste, ce n’était pas sa mère.
Si le projet de résolution de monsieur Fasquelle a été rejeté, c’est parce qu’il a été liberticide en invitant le gouvernement français « à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques dans toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme ». Il n’y a pas que les psychanalystes qui ont entendu les dénégations de Mr Fasquelle, la majorité des députés l’a entendu également. Mais ce rejet qui constitue pour nous une bataille gagnée, n’a rien de rassurant. Bien au contraire. Compte tenu du débat qui s’est tenu à l’Assemblée, nous avons toutes les bonnes raisons de penser qu’un projet de résolution semblable mais rédigé de façon plus habile aurait été voté par une majorité de députés. En effet, la plupart des députés qui se sont exprimé ne semblaient pas avoir comme préoccupation première la défense de la psychanalyse. A suivre les débats qui ont précédé le vote, la tendance dominante à l’Assemblée reflète le discours de civilisation qui est aux commandes bien au delà de la France en matière de santé mentale. Un discours qui ne jure que par les bonnes pratiques évaluées par l’idéologie du chiffre. Dans ce sens, le combat qui se mène actuellement en Belgique contre la loi sur les professions des soins de santé mentale est identique. Il concerne un discours ambiant qui règne chez nous, les occidentés, bien avant et au-delà des événements De Block ou Fasquelle.
Or, si le projet Fasquelle est une chronique d’un échec annoncé, le programme de propagande bien orchestrée qui l’a précédé nous semble fort inquiétant. Nous avons pu entendre que la psychanalyse est une pratique non consensuelle. Le terme « non consensuelle » a pour l’HAS un sens précis, celui d’une pratique qui ne peut pas être évaluée selon l’idéologie du chiffre-explique-tout. Mais le sens de ce terme glisse dans le débat, et dévient rapidement un adjectif fait pour décrire une pratique « inefficace » et très contestable. Comme si les pratiques TCC, recommandées par l’HAS seraient, elles, « consensuelles ». Bonne blague. L’annuaire de l’EuroFédération de psychanalyse recense 2500 praticiens de la Santé mentale autour du Champ freudien qui sont par essence opposés aux pratiques de dressage par les TCC. Il suffit de cette donnée pour contester le supposé « consensus » autour de thérapies TCC.
La propagande va encore plus loin quand elle associe la psychanalyse au packing pour insinuer qu’elle serait une pratique maltraitante. Cela se trouve dans l’appel fait au gouvernement dans la proposition de résolution, à faire reconnaître par la Fédération française de psychiatrie les recommandations de bonnes pratiques « afin qu’elle renonce officiellement au packing, à la psychanalyse et à toutes les approches maltraitantes » (sic !). Ailleurs, nous avons pu lire que les psychanalystes « noyautent les universités », qu’ils font de l’enfant autiste un objet de leur fantasme, et bien-sûr, l’ancienne rengaine totalement fausse selon laquelle la psychanalyse « culpabilise » la mère et la famille. La cerise sur le gâteau est l’exigence de Mr Fasquelle à ce « qu’on cesse d’induire les familles en erreur et de leur imposer des traitements dont elles ne veulent pas ». On aurait envie de s’exclamer en réponse : que Mesdames et Messieurs les adhérents du lobby anti-psychanalyse commencent !
Ces choses écrites sont entendues à l’ONU. La manœuvre est claire. On fait dire au Comité des droits de l’enfant de l’ONU qu’elle « constate » qu’en France, « les enfants autistes continuent de faire l’objet de thérapies psychanalytiques inefficaces »[1]. Ensuite, quand on demande des comptes aux députés qui signent le projet de la résolution fasquelienne, ils répondent : que voulez-vous ? Nous ne faisons que vouloir appliquer les directives de l’ONU. La boucle est bouclée.
Ainsi, le projet de résolution a été rejeté, mais le mal est fait. Les choses ont été dites, et elles feront leur chemin. Rien de bon ne nous attend dans l’avenir sauf à continuer notre travail de psychanalystes, c’est dire l’analyse du discours scientiste ambiant afin de dévoiler sans répit la malveillance de ces tentatives de figer le savoir de l’inconscient, de le faire taire à jamais, par des moyens légaux.
[1] Nations-UNIS, Convention relative aux droits de l’enfant du 23 février 2016
La cause de l’Autisme : Manifeste pour un abord clinique de l’autisme
Manifeste pour un abord clinique de l’autisme
Ce Manifeste de l’Institut psychanalytique de l’Enfant a été diffusé dès février 2012, en réponse à une première proposition de loi du député D. Fasquelle, visant à interdire la psychanalyse du champ des soins aux sujets autistes. Il retrouve ici toute son actualité.
Autisme et psychanalyse : nos convictions
L’Institut psychanalytique de l’Enfant a pris connaissance ces derniers mois d’une étrange campagne qui vise à exclure la psychanalyse de la prise en charge des enfants et adolescents autistes. Cette campagne culmine maintenant avec une proposition de loi qui a fait réagir de nombreux représentants professionnels[1] et les
plus grandes associations familiales (UNAPEI[2]).
Ladite campagne procède d’un intense travail de lobbying qui allègue des intentions louables : améliorer les conditions d’une catégorie de la population. En fait, il s’agit pour ses promoteurs d’obtenir des pouvoirs publics des subventions massives au bénéfice de méthodes de conditionnement, de façon à offrir des solutions ready-made aux familles qui cherchent avec inquiétude des solutions là où il y a une réelle pénurie d’accueil institutionnel.
L’Institut psychanalytique de l’Enfant réunit des psychanalystes, des intervenants d’institutions spécialisées – psychiatres, psychologues, infirmiers, orthophonistes, psychomotriciens -, des professionnels de champ de l’enfance – enseignants, éducateurs, juristes, médecins… – qui agissent depuis de nombreuses années auprès des enfants en souffrance, en s’orientant de la psychanalyse, de Freud, de Lacan et des avancées les plus actuelles de la recherche clinique.
C’est à ce titre que l’Institut psychanalytique de l’Enfant, par sa Commission d’initiative, souhaite prendre position. Il s’agit ici de témoigner des principes qui gouvernent notre action.
1 – Rappelons qu’en France, à partir des années 60-70, ce sont les psychiatres d’enfant et les psychologues formés à la psychanalyse qui commencent à se préoccuper du sort des enfants autistes jusqu’alors placés en hôpital psychiatrique ou en institution fermée, où la dimension déficitaire était prépondérante. Ils prennent appui sur les psychanalystes anglo-saxons Frances Tustin, Margaret Malher, Donald Meltzer, et sur l’institution de Maud Mannoni « l’École expérimentale de Bonneuil », avec les travaux de Rosine et Robert Lefort, élèves de J. Lacan.
L’ensemble de ces travaux donne aux praticiens – psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs, orthophonistes, psychomotriciens – l’idée d’un traitement possible et d’apprentissages qui tiennent compte du symptôme du sujet, au delà de la coercition.
Les hôpitaux de jour, dans le mouvement de sectorisation de la psychiatrie, se créent dans cette perspective. Il s’agit d’offrir un accueil qui ne soit pas basé sur le déficit et qui tienne compte de la particularité de chaque sujet. La situation familiale fait partie de cette particularité, car les constellations familiales sont loin d’être toutes identiques. Les parents sont reçus, écoutés. Les enfants, les adolescents, sont reçus dans des petits groupes, sollicités pour des « ateliers » où peuvent se décliner leurs intérêts. Dans les moments de repas, de jeux, d’étude, ils expérimentent de nouveaux rapports avec les objets et avec les demandes, avec ce qui structure le monde de tous les enfants, mais dont les enfants autistes se défendent.
2 – Cette longue expérience de diagnostic, d’accompagnement des familles, de mise en place de parcours spécialement tissés pour chacun, a fait l’objet de nombreuses publications et de recueil de travaux. Elle n’aurait pas pu se soutenir sans la référence quotidienne à la psychanalyse, à son corpus textuel, à son enseignement vivant.
Comment situer aujourd’hui la place de la psychanalyse dans le traitement de l’enfant autiste ? Nous proposons 5 axes de réponse :
- La formation analytique, c’est-à-dire l’expérience d’une psychanalyse personnelle, donne aux intervenants un outil puissant pour situer leur action auprès des sujets autistes à la bonne distance, en se tenant à distance d’idéaux de normalisation ou de normalité incompatibles avec l’accompagnement professionnel de sujets en souffrance.
- Ce respect de la position du sujet est la boussole qui oriente en effet cette action. Il ne s’agit en aucun cas de laisser l’enfant, l’adolescent, être le jouet par exemple de ses stéréotypies, répétitions, écholalies, mais, en les considérant comme un premier traitement élaboré par l’enfant pour se défendre, d’y introduire, dans une présence discrète, des éléments nouveaux qui vont complexifier « le monde de l’autisme ».
- L’enjeu est d’abord que puisse se localiser pour l’enfant l’angoisse ou la perplexité que déclenche en lui l’interpellation d’un autre et la mise en jeu des fonctions du corps dans leur lien avec cette demande – se nourrir et se laisser nourrir, perdre les objets urinaires et anaux, regarder et être regardé, entendre et se faire entendre. Les psychanalystes ont depuis longtemps noté la dimension de rituels d’interposition que constituent de nombreux traits symptomatiques invalidants. La création ou la découverte par l’enfant d’un « objet autistique », quelle qu’en soit la forme, est souvent une ressource féconde pour créer des liens et des espaces nouveaux, plus libres des contraintes « autistiques ».
- Les psychanalystes ne contestent en aucune façon l’inscription des enfants autistes dans des dispositifs d’apprentissage. Ils mettent au contraire en valeur que le sujet autiste est déjà bien souvent « au travail ». Les autistes dits « de haut niveau » témoignent en ce domaine d’un investissement massif de la pensée, du langage, et du domaine cognitif, où ils trouvent des ressources inédites. Plus généralement, pour tous les enfants, les praticiens cherchent à privilégier les approches pédagogiques et éducatives qui savent s’adapter pour faire une place aux singularités sociales et cognitives des enfants autistes. Enseignants et éducateurs témoignent, au sein de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, de ce qu’ils ont élaboré avec l’enfant ou l’adolescent.
- En revanche les psychanalystes s’élèvent avec la plus grande force contre des méthodes dites « d’apprentissage intensif», qui sont en réalité des méthodes de conditionnement comportemental, qui utilisent massivement le lobbying, voire l’intimidation, pour promouvoir des « prises en charge » totalisantes, qui s’auto-proclament seul traitement valable de l’autisme. Loin de cette réduction, il faut différencier les différentes approches de l’apprentissage. Les psychanalystes et les intervenants, regroupés au sein de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, représentant toutes les catégories professionnelles présentes dans le champ de l’enfance, se déclarent tout spécialement attachés, pour les enfants et adolescents autistes, aux systèmes de soin et d’éducation existant en France, tant qu’ils permettent de répartir les responsabilités respectives et différenciées entre les professionnels du soin, de l’éducation, et les parents.
3 – Les classifications actuelles des troubles mentaux- spécialement le DSM – jettent une grande confusion dans le débat, faisant apparaître au même niveau diagnostic des symptômes de l’enfance tels que le bégaiement ou l’énurésie, des « troubles » référés à une normalité sociale (tels que les « troubles oppositionnels avec provocation » ou les « troubles des conduites »), et l’autisme (« trouble autistique »). L’autisme, et ses diverses formes, se trouve ainsi isolé comme le seul véritable tableau clinique de la catégorie « Troubles envahissants du développement ». Les débats en cours sur la continuité du « spectre des autismes », sur l’opportunité de maintenir dans la même série des TED les dits « Asperger », montrent combien cette catégorie est instable. A l’intérieur de ce « spectre », il faut examiner dans le détail les phénomènes d’envahissement du corps et situer les manifestations étranges et inquiétantes dont il est la proie. Les psychanalystes et les nombreux praticiens d’orientation lacanienne accompagnent ainsi de nombreux enfants et adolescents dans cette élaboration qui leur permet de garder ou de trouver une place dans le lien social et familial. Les parents peuvent alors s’autoriser à parler de certains traits de leur enfant, d’en saisir la valeur, malgré leur caractère étrange. Ce travail est nécessairement long, car il suppose de prendre en cause une différence de l’enfant qui vient à l’encontre des attentes et des désirs qui entourent sa présence au monde. Le psychanalyste, en place de recueillir cette souffrance, doit être attentif à la souffrance des parents et les soutenir dans leur épreuve.
4 – Des hypothèses étiologiques multiples – génétique, vaccinale, neurocognitive, etc.- présentées comme des vérités scientifiques à la suite souvent d’un unique article paru dans une revue, dont on apprendra quelques mois ou années plus tard le caractère biaisé, circulent dans les divers médias et affolent les familles. Ces hypothèses causales viennent répondre strictement à la réduction de l’autisme à un trouble du développement, présenté comme une maladie génétique voire épidémique. Elles se confortent de la loi de 2005 sur le handicap, qui ne vise pourtant aucunement à porter une sentence du type « C’est un handicap, donc cela n’est pas une maladie», mais à permettre une orientation adaptée pour l’enfant et une aide pour la famille. Beaucoup sur ce point reste à faire, et les associations de parents sont une force indispensable et incontournable pour faire avancer des projets adaptés, en particulier pour les très jeunes enfants et pour les grands adolescents et les jeunes adultes. En ce sens, l’annonce de l’autisme comme grande cause nationale ne pouvait que réjouir tous ceux qui sont mobilisés dans les soins apportés aux enfants et adolescents autistes.
5 – Les psychanalystes suivent tous les débats scientifiques autour des causes de l’autisme infantile. Quelles que soient ces causes, elles ne peuvent réduire le sujet à une mécanique. Ils prennent en compte les souffrances qu’ils rencontrent et ils promeuvent les institutions et les pratiques qui garantissent que l’enfant et sa famille seront respectés dans le moment subjectif qui est le leur. Ils facilitent, chaque fois que cela est possible, l’insertion de l’enfant dans des liens sociaux qui ne le mettent pas à mal. Ils ne sont pas détenteurs d’une vérité « psychologique » sur l’autisme, ils ne sont pas promoteurs d’une « méthode éducative » particulière. Ils sont porteurs d’un message clair pour le sujet autiste, pour ses parents, et pour tous ceux qui, en institution ou en accueil singulier, prennent le parti et le pari de les accompagner – et les psychanalystes sont de ceux-là : il est possible de construire un autre monde que le monde de défense et de protection où est enfermé l’enfant autiste. Il est possible de construire une nouvelle alliance du sujet et de son corps. L’effort de tous vise à démontrer cliniquement cette possibilité.
Le 2 février 2012
La Commission d’initiative de l’Institut psychanalytique de l’Enfant
Mme Judith Miller (Paris) – Dr Jean-Robert Rabanel (Clermont-Ferrand)
Dr Daniel Roy (Bordeaux) – Dr Alexandre Stevens (Bruxelles)
[1] Collectif des 39 : http://www.oedipe.org/fr/actualites/autisme39
Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux : http://www.sphweb.info/spip.php?article937
[2] UNAPEI : http://www.unapei.org/IMG/pdf/2012_01_20CPUnapei_PPLAutisme.pdf
La cause de l’Autisme : Nos enfants valent mieux que ça Lettre de Mireille Battut
Proposition de résolution parlementaire n° 4134, à l’initiative de M. Daniel Fasquelle
Nos enfants valent mieux que ça !
En ces temps de campagne, chacun fourbit ses armes, et l’autisme est une valeur qui monte. Certains s’en sont fait un fonds de commerce, d’autres découvrent l’affaire avec le zèle des nouveaux convertis. Monsieur Fasquelle, député LR, fondateur du groupe d’études sur l’autisme au sein de l’Assemblée nationale est un vieux routier. Il connait par cœur les mots clés qui sont présumés faire grimper les parents au plafond de l’applaudimètre. Profitant d’un intervalle parlementaire, il présente une résolution (déposée le 13 octobre pour être mise aux voix le 8 décembre prochain) à laquelle 93 députés se sont ralliés.
La résolution Fasquelle pose tout d’abord l’extension du domaine : « À ce jour, on recense 600 000 autistes en France soit environ une naissance sur 100 ou 800 000 naissances par an. ». Passons sur la coquille de 800 000 naissances autistes par an, qui correspond en fait au nombre de naissances totales (760 400 naissances en 2015) et sur le « recensement » (en fait une estimation) de 600 000 autistes en France alors que le ministère de la Santé communique le chiffre 440 000 personnes. Si nous retenons le taux de prévalence estimé par le ministère d’une naissance pour 150 (ce qui est déjà important), nous, familles concernées pouvons dire que 5070 nouvelles familles découvrent l’autisme chaque année et viennent nous rejoindre dans le défi qui a changé nos vies à jamais.
Comment sont-elles accueillies ? Comment sont-elles écoutées ? Un nourrisson reste lourd quand vous le soulevez, rit pour un rai de lumière, un je ne sais quoi voile son appréhension du monde. Un enfant ne réagit pas à l’appel de son prénom, perd le langage après l’avoir appris, ou n’y accède pas. Quelque chose ne va pas, mais quoi ? Malaise profond, souffrance indicible de ne pas savoir le qualifier. Combien de familles cependant témoignent que le pédiatre a minimisé voire raillé ces préoccupations. L’errance est un enfer qui transforme en quête le diagnostic pourtant redouté. TSA, TED, ou « autre trouble non spécifié » : un spectre s’est invité au sein de la famille. Il est des mots qui sont comme des tessons de bouteille. Il faut frotter longtemps pour en abraser le coupant. Et pourtant, Jim Sinclair, fondateur du mouvement américain de Self Advocacy ASAN nous invite, dans une lettre admirable aux parents, « Don’t mourn for us », à considérer que le deuil n’est pas celui de notre enfant, mais de l’image que nous avions de l’enfant rêvé.
Or c’est avec notre enfant réel que nous allons apprendre, réapprendre, avec lui, de lui. Monsieur Fasquelle affirme que la « science internationale » connait ce qui est bon pour notre enfant mieux que nous, et mieux que les professionnels qui s’occupent de lui. Il considère que nous devons appliquer, pour l’éduquer, des protocoles définis dans l’Ohioi il y a quarante ans et exige que « seuls les thérapies et les programmes éducatifs qui sont conformes aux recommandations de la Haute Autorité de santé soient autorisés et remboursés ». Or, la science et le progrès des connaissances évoluent, mais Monsieur Fasquelle tient à sa ligne Maginot. car comme l’indique une pétition de médecinsii, « il sait bien que ces recommandations sont partiellement caduques et risquent d’être prochainement révisées. », notamment parce que les résultats des 28 centres expérimentaux, tous
appliquant les méthodes que Monsieur Fasquelle veut rendre obligatoires, se sont révélés décevantsiii. Nous sommes attachés aux progrès de la science, mais n’est-il pas abusif d’attribuer le label de science à des programmes éducatifs ? Et si les programmes éducatifs sont de la science, alors nous, parents, devons être éduqués à devenir des exécutants de ces programmes, qui seuls pourront être enseignés – puisque Monsieur Fasquelle veut les imposer à l’exclusion de toute autre approche – dans les universités et la formation professionnelle.
Quant aux fédérations professionnelles, elles sont sommées de « reconnaître sans aucune réserve et officiellement les recommandations de bonnes pratiques de la HAS et de l’ANESM afin qu’elle renonce officiellement au packing, à la psychanalyse et à toutes les approches maltraitantes ». Monsieur Fasquelle pratique un art consommé de la conjonction « et » qui lui permet tous les glissements. Il ne dit pas que la psychanalyse est maltraitante, mais il l’accole à la maltraitance, ce qui lui permet d’inviter « le Gouvernement français à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme ». La psychanalyse étant une pratique légale, l’interdire aux seuls autistes revient à dire qu’ils ne sont pas des humains comme les autres. Monsieur Fasquelle invite donc le Gouvernement français à mettre les autistes, formellement et juridiquement, en marge de l’humanité. N’y a-t-il pas autre chose à entendre dans la demande de soin, qui ne peut jamais être imposée sans détruire son objet, comme le montre suffisamment le débat douloureux sur les soins sans consentement.
Le sujet de la maltraitance n’est pas à prendre à la légère et la résolution dévoile un scandale d’une ampleur inédite : « En 2014, 44 % des personnes autistes étaient victimes de maltraitance, soit 250 000 personnes autistes sur les 600 000 que compte notre pays. ». (Même en corrigeant de la surévaluation initiale, l’on arrive au chiffre considérable de 44% de 440 000 soit 193 600 personnes autistes maltraitées). Ce chiffre est en réalité une extrapolation à partir de la réponse de 236 familles à la question « votre enfant a-t-il subi des mauvais traitements ou des carences en matière de soin » dans une enquête réalisée auprès de 538 familles par le Collectif Autismeiv.
Enfin, Monsieur Fasquelle appelle à prendre des mesures immédiates sur un sujet central : le droit à l’éducation inclusive (qui est notons le très peu présent dans les recommandations HAS de 2012). Il invoque à ce titre une résolution du Conseil de l’Europev mais néglige de signaler que le Conseil de l’Europe met en avant la défaillance française en accompagnants dans les écoles (AVS) et leur précarité et préfère inviter fermement « le Gouvernement français à réallouer en totalité les financements des prises en charge n’étant pas explicitement recommandées aux approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». Sans doute entend-il, en s’attaquant ainsi aux institutions qui accueillent souvent les plus démunis de nos enfants, apporter sa contribution à l’œuvre salutaire de suppression de 500 000 fonctionnaires, dont on voit mal comment elle pourrait être compatible avec l’amélioration des conditions d’intégration scolaire des enfants autistes.
L’on reste confondu que le président d’un groupe d’étude qui proclame travailler sur l’autisme depuis 2011, s’appuie sur des chiffres fantaisistes pour susciter l’effroi et justifier ses rodomontades, et surtout soit incapable d’aligner la moindre mesure
constructive dont les familles ont tant besoin, tant du côté du soin, comme de développer les réseaux de soins somatiques adaptés, de mettre fin à la pénurie d’orthophonistes, de pédopsychiatres, de psychologues…. que du côté de l’éducation, comme de sortir les accompagnants scolaires de la précarité, de déplafonner les âges d’accueil de nos jeunes à l’école pour tenir compte de leur fréquent retard scolaire, de favoriser enfin le pluralisme des approches, pour que chacun trouve une solution à sa mesure…vi
Mesdames et Messieurs les députés, il nous reste peu de temps pour nous ressaisir. Au moment où s’ouvre la concertation pour un quatrième plan Autisme, repartons sur d’autres bases. Nos enfants valent mieux que ça.
Cachan, le 28 novembre 2016
Mireille Battut Présidente
La main à l’oreille lamainaloreille@gmail.com www.lamainaloreille.wordpress.com
i Voir Xavier Briffaut « Santé mentale, santé publique, un pavé dans la mare des bonnes intentions »
ii Pétition de médecins https://www.change.org/p/à-tous-les-médecins-pour-la-liberté-de-prescription-des-médecins-contre-l- instauration-d-une-science-d- état?recruiter=641180747&utm_source=share_petition&utm_medium=email&utm_campaign=share_email_responsive
iii http://www.autistes-et-cliniciens.org/L-experimentation-institutionnelle-d-ABA-en-France-une-severe-desillusion iv http://www.collectif-autisme.org/PDF/DP-Droits%20collectif%20Autisme-.pdf
iv Conseil de l’Europe (4 février 2014, Résolution CM/ResChS(2014)2
v https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805c66e2
vi https://lamainaloreille.wordpress.com/2015/10/03/intervention-au-senat-reorienter-le-3eme-plan-autisme/ https://lamainaloreille.wordpress.com/3eme-plan-autisme/contribution-de-lamao-en-vue-du-3eme-plan-autisme/
La cause de l’Autisme : Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes
Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes Par Jean-Claude Maleval.
Pourquoi quelques députés Les Républicains éprouvent-ils le besoin de déposer une résolution demandant à l’Assemblée Nationale de se déclarer en faveur des recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant la prise en charge des autistes ?[1] Que les professionnels aient à prendre en compte ces recommandations n’est-ce pas l’évidence même ?
Les signataires du projet de résolution seraient-ils contrariés par l’intervention du Président de la République qui, lors la Conférence nationale du Handicap, le 19 mai 2016, a souhaité que le 4ème plan Autisme soit celui « de l’apaisement et du rassemblement. Parce que nous devons avoir toutes les réponses et les réponses les plus adaptées, sans préjugés et sans volonté d’imposer une solution plutôt qu’une autre ». Certains députés semblent considérer que de tels propos sont trop modérés et que le Gouvernement devrait adopter une position plus radicale.
Pour ce faire, ils procèdent à un détournement des recommandations de la HAS sur au moins trois points :
- En voulant transformer des recommandations en injonctions, postulant ainsi que la science de l’autisme serait achevée.
- En affirmant à tort que les méthodes recommandées sont validées scientifiquement.
- En prétendant que la psychanalyse se trouverait dans la liste des méthodes non recommandées, alors que la HAS a pris soin de ne pas se prononcer quant à la pertinence de l’approche psychanalytique.
Ces trois distorsions des indications de la HAS orientent dans le même sens : adopter une position radicale dans un domaine complexe caractérisé par des données scientifiques qui ne permettent que de très prudentes recommandations.
Vouloir mener jusqu’à son terme une interdiction des pratiques psychanalytiques avec les autistes, comme le prône la résolution, se heurterait immédiatement à un problème quasi-insoluble : définir celles-ci. Dans une acception stricte de la pratique analytique, elle n’est nulle part mise en œuvre avec les autistes, et que dans une acception large, elle y est presque partout.
La méthode inventée par Freud avec les névrosés (divan, associations libres, interprétations des fantasmes et des symptômes) n’est aujourd’hui nulle part mise en œuvre avec les autistes. La référence analytique en ce domaine est en général combinée à d’autres approches (psychothérapie institutionnelle, thérapie par le jeu, thérapie par affinités, psychomotricité, orthophonie, voire techniques éducatives et autres). Qui plus est, le programme de Denver, recommandé par la HAS, se fonde pour une part sur les concepts psychanalytiques de M. Malher. Faudrait-il pour cette raison interdire une méthode pourtant recommandée ? À partir de quelle dose de psychanalyse une pratique devrait-elle être interdite ? Aucun marqueur de ce genre n’étant disponible, nul doute que les bras tomberaient au législateur s’il devait s’atteler à répondre à cette question.
Chacun sait que les débats autour de l’autisme sont d’une extrême complexité. Les experts les plus compétents avouent peiner à le définir, son acception variant au gré des éditions des manuels de psychiatrie, ils ne sont pas en mesure d’expliquer pourquoi son extension semble être devenue épidémique lors des dernières décennies, tandis qu’ils restent très prudents quand ils se prononcent sur la qualité des traitements éducatifs. Il fait consensus dans la littérature scientifique internationale que les traitements validés connaissent plus d’échecs que de réussites – ces dernières dans les méta-analyses atteignant à peine 50%. Dès lors d’où vient le savoir des quelques députés signataires du projet de loi leur permettant de trancher dans des problèmes pour lesquels les spécialistes restent en de grandes incertitudes ? Selon eux des recommandations de la HAS promulguées en 2012. Mais les ont-ils lues ?
- Ils classent les pratiques psychanalytiques dans la liste des méthodes non recommandées ; or elles se trouvent dans celle des « méthodes non consensuelles ». En raison des divergences des experts, aucun consensus n’a pu être obtenu, de sorte que la HAS ne s’estime pas en mesure de prendre parti sur ce point. Quelles sont les données scientifiques nouvelles dont disposent les députés justifiant leur détournement des conclusions de la HAS ?
- Les députés Les Républicains considèrent qu’il existe des « approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». La HAS se montre beaucoup plus prudente. Des trois méthodes recommandées (ABA, Denver et TEACCH), elle estime que seules les deux premières atteignent « une présomption scientifique » d’efficacité (grade B), la troisième « un faible niveau de preuve » (grade C). Aucune des trois ne parvient au grade A, celui de la validation scientifique. Les recherches les plus récentes s’avèrent plus réservées encore. En 2014, est publié par l’AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality ), un rapport de plus de 500 pages, quasi-exhaustif sur la littérature scientifique de langue anglaise concernant les approches éducatives de l’autisme. Il est constaté que les résultats les plus robustes mettent en évidence un gain concernant les capacités cognitives et les compétences linguistiques. Cependant les améliorations s’avèrent moins marquées concernant la sévérité du noyau des symptômes autistiques, les compétences adaptatives et le fonctionnement social[2]. « Notre confiance (fondée sur le niveau de la preuve), écrivent les experts, dans l’efficience des approches précoces et intensives fondées sur l’ABA concernant la cognition et le langage reste modérée, du fait que des recherches supplémentaires seraient nécessaires afin d’identifier quel groupe d’enfants tire le meilleur bénéfice des approches spécifiques de forte intensité. Le niveau de preuve quant à l’aptitude de ces interventions de forte intensité à produire un effet sur les compétences comportementales d’adaptation, sur les compétences sociales et sur la sévérité du noyau des symptômes autistiques est faible. [3] Qui plus est, en ce qui concerne l’acquisition des compétences cognitives et linguistiques leur impact sur le long terme reste incertain : beaucoup d’études n’ayant pas suivi les enfants au-delà de la pré-scolarité tardive ou des toutes premières années de scolarité[4].
- Il a été procédé en France, entre 2010 et 2014, à l’expérimentation de la méthode ABA dans 28 structures expérimentales bénéficiant de conditions d’encadrement et de financement particulièrement favorables. Une expertise indépendante observe que le taux d’inclusion scolaire des enfants autistes après plusieurs années de traitement n’y est que de 3%. (Les attentes avoisinaient 50% voire plus)[5]. Les évaluateurs aboutissent à un constat d’échec : « malgré les progrès individuels constatés pour une grande majorité d’enfants et de jeunes, le nombre de sorties est resté très limité sur la période, alors même que ce modèle d’intervention ne peut être tenable financièrement que si l’accompagnement intensif pour un même enfant est limité dans le temps (logique de parcours). »[6] Dès lors leur conclusion est nette : « cette solution est certes intéressante en termes de niveau individuel de prestation, mais n’est tout simplement pas tenable financièrement »[7].
- Les députés signataires semblent ignorer que la seule méthode ayant fait l’objet d’interventions des tribunaux pour suspicion de maltraitance est la méthode ABA – pourtant privilégiée par eux. Les punitions n’ont été exclues de celle-ci qu’à la suite de décisions des tribunaux américains prononçant l’illégalité des pratiques aversives. Néanmoins, au Centre Camus de Villeneuve d’Ascq, établissement pilote pour l’introduction de la méthode ABA en France, elles ont continué à être pratiquées, suscitant la plainte d’un parent d’enfant autiste. L’enquête de l’Agence Régionale de Santé qui s’en est suivie concluait que ce centre présentait des « dysfonctionnements » constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d’avoir des répercussions sur les enfants accueillis »[8]. Le recours en diffamation de la directrice du Centre a été rejeté[9]. Qui plus est, beaucoup d’autistes de haut niveau, tels que Michelle Dawson, dénoncent « les terribles souffrances des premières semaines d’ABA. » Elle considère probable que « les pleurs, les cris perçants, et les fuites soient ceux du soulèvement d’un enfant qui est forcé de manière répétitive à abandonner ses points forts »[10]
- Les députés ignorent la montée prometteuse de la thérapie par affinités, qui fait aujourd’hui l’objet d’études approfondies, or la HAS ne pouvait la prendre en compte en 2012 puisqu’elle n’existait pas encore. Bien que les fondateurs de cette méthode (Suskind, Dan Griffin) n’utilisent aucun concept freudien ; sa pratique orientée, non vers la rééducation, mais vers le développement des affinités du sujet, s’avère présenter de nombreuses convergences avec la pratique des institutions pour lesquelles la référence psychanalytique est majeure[11].
- Les députés n’ont pas eu connaissance d’une étude de l’INSERM postérieure aux recommandations du 3ème plan autisme. Elle établit que suivis en psychothérapie 50 enfants autistes sont parvenus à des « changements significatifs » après seulement un an de prise en charge. Parmi les thérapeutes 80% se référaient à la psychanalyse, 20 % à des approches cognitivo-comportementales ou à celles du développement psychomoteur. L’étude confirme ce que met en évidence la thérapie par affinités, à savoir l’importance que l’enfant soit acteur du traitement et que le thérapeute soit en mesure de s’ajuster à ses capacités. Les auteurs concluent : « le point majeur qui découle de ces constatations est que l’approche psychothérapique mise en œuvre par le thérapeute dépend pour une part importante – et peut-être complètement – des possibilités qui lui sont offertes ou non par le fonctionnement de l’enfant, quelle que soit l’approche de référence »[12]. Mettant en évidence que des approches différentes peuvent les unes et les autres induire des changements significatifs, et que l’adhésion de l’enfant à la méthode proposée est un élément décisif, cette étude de l’INSERM est une invitation particulièrement probante à promouvoir la liberté de choix des traitements.
Les députés signataires semblent méconnaitre que la Fédération française de psychiatrie, qu’ils mettent en cause, ne se prononce pas quant à la psychanalyse avec les autistes, en revanche elle reste attachée à liberté de choix des traitements. Que l’Etat vienne à rompre avec ce principe en prenant parti dans des débats scientifiques d’une grande complexité n’a pas d’équivalent dans un régime démocratique et ne peut que rappeler des dérives totalitaires. Il fallait être Staline pour vouloir imposer la biologie de Lyssenko.
Les institutions orientées par la psychanalyse lacanienne ne pratiquent pas le packing avec les autistes. L’interdiction de celui-ci est cependant exemplaire d’une désinformation associée aux pratiques psychiatriques et psychanalytiques. Initialement nommé « emmaillotement humide », le packing est pratiqué en psychiatrie depuis le XIXème siècle. À l’encontre d’autres pratiques, dont on peut regretter qu’elles soient rarement critiquées (telles que la sismothérapie ou l’isolement), il n’avait jamais fait l’objet de plaintes de la part de patients hospitalisés. Ce n’est que depuis 2007, sous l’impulsion de certains parents d’autistes, que le packing est soudainement devenu une pratique maltraitante, voire une « torture ». Celle-ci est bien atypique puisque il est des autistes pour témoigner l’apprécier et en redemander[13]. Certes il en est d’autres qui le rejettent. Il ne devrait être imposé à personne – pas plus que ne devraient l’être les violences initiales de la méthode ABA.
L’opposition du Pr Golse au nom de la CIPPA[14] à l’initiative de résolution proposée à l’Assemblée nationale a immédiatement suscité les habituelles réactions outrancières (comparaison des psychanalystes aux nazis !) et toujours aussi mal informées. Répéter sans cesse dans les médias que les psychanalystes culpabilisent les parents et considèrent l’autisme comme une psychose tend à faire passer pour pertinentes auprès du grand public ces réductions simplistes. Or la fameuse « mère frigidaire » imputée aux psychanalystes est une notion introduite par Kanner qui n’était pas psychanalyste. La position nuancée de Bettelheim est sans cesse caricaturée : certes il considère parfois que le désir inconscient des parents serait à l’origine de l’autisme, mais il affirme aussi que celui-ci résulte d’une réaction propre de l’enfant à son environnement. Une psychanalyste telle que Frances Tustin, qui a marqué tout autant que Bettelheim l’approche psychanalytique française de l’autisme, se prononce très clairement dès les années 90 contre toute imputation de celui-ci au désir des parents. M. Mannoni a certes soutenu le contraire concernant les enfants « arriérés », ce que la moitié des autistes ne sont pas. Cependant la référence majeure dans le champ lacanien concernant l’autisme ne fut jamais M. Mannoni : dès 1980 ce furent les travaux de Rosine et Robert Lefort qui parurent incontournables. Or ceux-ci orientent très différemment. D’une part, ils laissent ouverte la question de la causalité de l’autisme ; d’autre part, ils s’employèrent à établir que l’autisme serait une structure subjective originale – différente de la psychose. Cette thèse trouve aujourd’hui crédit en se fondant sur des arguments nouveaux auprès de psychanalystes lacaniens. En matière d’approche psychanalytique de l’autisme, les médias et les détracteurs ne veulent connaître que Bettelheim et Mannoni ; les spécialistes citent au moins tout autant Tustin et les Lefort.
Certes il se trouve des parents pour attester de paroles blessantes proférées à leur égard par des psychanalystes ; mais combien aussi pour témoigner de menaces exprimées par des thérapeutes ABA : « si vous n’adoptez pas une méthode validée scientifiquement, votre enfant se suicidera ». L’incompétence n’est pas l’apanage d’une seule profession.
Vouloir donner force contraignante à des « recommandations » serait méconnaître qu’en matière de santé les vérités d’aujourd’hui peuvent ne pas être celles de demain. Cela conduirait à dresser un obstacle à toute tentative de faire progresser les connaissances sur la prise en charge des autistes, pourtant actuellement insuffisantes et incertaines. Les efforts pour figer le savoir ne font pas bon ménage avec le progrès.
Jean-Claude Maleval
Lire le projet de résolution n°4134 – cliquer ici
[1] Le projet de résolution n° 4134 déposé à l’Assemblée Nationale le 13 Octobre 2016 se trouve à la suite de ce texte en annexe.
[2] Weitlauf AS, McPheeters ML, Peters B, Sathe N, Travis R, Aiello R, Williamson E, Veenstra-Vander-Weele J, Krishnaswami S, Jerome R, Warren Z. Therapies for Children With Autism Spectrum Disorder: Behavioral Interventions Update. Comparative Effectiveness Review No. 137. (Prepared by the Vanderbilt Evidence-based Practice Center under Contract No. 290-2012-00009-I.) AHRQ Publication No. 14-EHC036-EF. Rockville, MD: Agency for Healthcare Research and Quality; August 2014, p. 79. http://www.effectivehealthcare.ahrq.gov/reports/final.cfm.
[3] Ibid., p. 80.
[4] Ibid., p. 79.
[5] L’expérimentation institutionnelle d’ABA en France : une sévère désillusion. (en collaboration avec M. Grollier). Lacan Quotidien n° 568 et 569. Février-Mars 2016.
[6] Cekoïa Conseil. Planète publique. Evaluation nationale des structures expérimentales Autisme. CNSA. Rapport final. Février 2015, p. 82.
[7] Ibid., p. 86.
[8] Dufau S. A Lille, le procès d’une méthode de traitement d’enfants autistes. Médiapart. 2 Juillet 2012. www. mediapart.fr
[9] Dufau S. Vinca Rivière et l’association Pas à Pas perdent leur procès face à Médiapart. 6 Mars 2015. http://www.mediapart.fr
[10] Dawson M. The misbehavior of behaviorists. Ethical challenges to the autism-ABA industry. [2004] En ligne sur No Autistics Allowed.
[11] Perrin M. s/d. Affinity therapy. Nouvelles recherches sur l’autisme. Presses Universitaires de Rennes. 2015.
[12] Thurin J.-M., Thurin M., Cohen D., Falissard B., «Approches psychothérapeutiques de l’autisme. Résultats préliminaires à partir de 50 études de cas», Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014), p.102-118, http://www.isir.upmc.fr/fles/2014ACLN3103.pdf
[13] En ce qui concerne le packing, cf l’excellente mise au point du Pr David Cohen. https://u2peanantes.files.wordpress.com/2015/08/edito-neuropsy-david-cohen-efbfbd-monsieur-franccca7ois-hollande-2016.pdf
[14] Golse B. Réaction à la proposition visant à l’interdiction de la psychanalyse dans l’autisme. https://blogs.mediapart.fr/bernard-golse