La cause de l’Autisme : Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes

La cause de l’Autisme : Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes

Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes Par Jean-Claude Maleval.

 

Pourquoi quelques députés Les Républicains éprouvent-ils le besoin de déposer une résolution demandant à l’Assemblée Nationale de se déclarer en faveur des recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant la prise en charge des autistes ?[1] Que les professionnels aient à prendre en compte ces recommandations n’est-ce pas l’évidence même ?

Les signataires du projet de résolution seraient-ils contrariés par l’intervention du Président de la République qui, lors la Conférence nationale du Handicap, le 19 mai 2016, a souhaité que le 4ème plan Autisme soit celui « de l’apaisement et du rassemblement. Parce que nous devons avoir toutes les réponses et les réponses les plus adaptées, sans préjugés et sans volonté d’imposer une solution plutôt qu’une autre ». Certains députés semblent considérer que de tels propos sont trop modérés et que le Gouvernement devrait adopter une position plus radicale.

Pour ce faire, ils procèdent à un détournement des recommandations de la HAS sur au moins trois points :

  • En voulant transformer des recommandations en injonctions, postulant ainsi que la science de l’autisme serait achevée.
  • En affirmant à tort que les méthodes recommandées sont validées scientifiquement.
  • En prétendant que la psychanalyse se trouverait dans la liste des méthodes non recommandées, alors que la HAS a pris soin de ne pas se prononcer quant à la pertinence de l’approche psychanalytique.

Ces trois distorsions des indications de la HAS orientent dans le même sens : adopter une position radicale dans un domaine complexe caractérisé par des données scientifiques qui ne permettent que de très prudentes recommandations.

Vouloir mener jusqu’à son terme une interdiction des pratiques psychanalytiques avec les autistes, comme le prône la résolution, se heurterait immédiatement à un problème quasi-insoluble : définir celles-ci. Dans une acception stricte de la pratique analytique, elle n’est nulle part mise en œuvre avec les autistes, et que dans une acception large, elle y est presque partout.

La méthode inventée par Freud avec les névrosés (divan, associations libres, interprétations des fantasmes et des symptômes) n’est aujourd’hui nulle part mise en œuvre avec les autistes. La référence analytique en ce domaine est en général combinée à d’autres approches (psychothérapie institutionnelle, thérapie par le jeu, thérapie par affinités, psychomotricité, orthophonie, voire techniques éducatives et autres). Qui plus est, le programme de Denver, recommandé par la HAS, se fonde pour une part sur les concepts psychanalytiques de M. Malher. Faudrait-il pour cette raison interdire une méthode pourtant recommandée ? À partir de quelle dose de psychanalyse une pratique devrait-elle être interdite ? Aucun marqueur de ce genre n’étant disponible, nul doute que les bras tomberaient au législateur s’il devait s’atteler à répondre à cette question.

Chacun sait que les débats autour de l’autisme sont d’une extrême complexité. Les experts les plus compétents avouent peiner à le définir, son acception variant au gré des éditions des manuels de psychiatrie, ils ne sont pas en mesure d’expliquer pourquoi son extension semble être devenue épidémique lors des dernières décennies, tandis qu’ils restent très prudents quand ils se prononcent sur la qualité des traitements éducatifs. Il fait consensus dans la littérature scientifique internationale que les traitements validés connaissent plus d’échecs que de réussites – ces dernières dans les méta-analyses atteignant à peine 50%. Dès lors d’où vient le savoir des quelques députés signataires du projet de loi leur permettant de trancher dans des problèmes pour lesquels les spécialistes restent en de grandes incertitudes ? Selon eux des recommandations de la HAS promulguées en 2012.  Mais les ont-ils lues ?

  • Ils classent les pratiques psychanalytiques dans la liste des méthodes non recommandées ; or elles se trouvent dans celle des « méthodes non consensuelles ». En raison des divergences des experts, aucun consensus n’a pu être obtenu, de sorte que la HAS ne s’estime pas en mesure de prendre parti sur ce point. Quelles sont les données scientifiques nouvelles dont disposent les députés justifiant leur détournement des conclusions de la HAS ?
  • Les députés Les Républicains considèrent qu’il existe des « approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». La HAS se montre beaucoup plus prudente. Des trois méthodes recommandées (ABA, Denver et TEACCH), elle estime que seules les deux premières atteignent « une présomption scientifique » d’efficacité (grade B), la troisième « un faible niveau de preuve » (grade C). Aucune des trois ne parvient au grade A, celui de la validation scientifique. Les recherches les plus récentes s’avèrent plus réservées encore. En 2014, est publié par l’AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality ), un rapport de plus de 500 pages, quasi-exhaustif sur la littérature scientifique de langue anglaise concernant les approches éducatives de l’autisme. Il est constaté que les résultats les plus robustes mettent en évidence un gain concernant les capacités cognitives et les compétences linguistiques. Cependant les améliorations s’avèrent moins marquées concernant la sévérité du noyau des symptômes autistiques, les compétences adaptatives et le fonctionnement social[2]. « Notre confiance (fondée sur le niveau de la preuve), écrivent les experts, dans l’efficience des approches précoces et intensives fondées sur l’ABA concernant la cognition et le langage reste modérée, du fait que des recherches supplémentaires seraient nécessaires afin d’identifier quel groupe d’enfants tire le meilleur bénéfice des approches spécifiques de forte intensité. Le niveau de preuve quant à l’aptitude de ces interventions de forte intensité à produire un effet sur les compétences comportementales d’adaptation, sur les compétences sociales et sur la sévérité du noyau des symptômes autistiques est faible. [3] Qui plus est, en ce qui concerne l’acquisition des compétences cognitives et linguistiques leur impact sur le long terme reste incertain : beaucoup d’études n’ayant pas suivi les enfants au-delà de la pré-scolarité tardive ou des toutes premières années de scolarité[4].
  • Il a été procédé en France, entre 2010 et 2014, à l’expérimentation de la méthode ABA dans 28 structures expérimentales bénéficiant de conditions d’encadrement et de financement particulièrement favorables. Une expertise indépendante observe que le taux d’inclusion scolaire des enfants autistes après plusieurs années de traitement n’y est que de 3%. (Les attentes avoisinaient 50% voire plus)[5]. Les évaluateurs aboutissent à un constat d’échec : « malgré les progrès individuels constatés pour une grande majorité d’enfants et de jeunes, le nombre de sorties est resté très limité sur la période, alors même que ce modèle d’intervention ne peut être tenable financièrement que si l’accompagnement intensif pour un même enfant est limité dans le temps (logique de parcours). »[6] Dès lors leur conclusion est nette : « cette solution est certes intéressante en termes de niveau individuel de prestation, mais n’est tout simplement pas tenable financièrement »[7].
  • Les députés signataires semblent ignorer que la seule méthode ayant fait l’objet d’interventions des tribunaux pour suspicion de maltraitance est la méthode ABA – pourtant privilégiée par eux. Les punitions n’ont été exclues de celle-ci qu’à la suite de décisions des tribunaux américains prononçant l’illégalité des pratiques aversives. Néanmoins, au Centre Camus de Villeneuve d’Ascq, établissement pilote pour l’introduction de la méthode ABA en France, elles ont continué à être pratiquées, suscitant la plainte d’un parent d’enfant autiste. L’enquête de l’Agence Régionale de Santé qui s’en est suivie concluait que ce centre présentait des « dysfonctionnements » constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d’avoir des répercussions sur les enfants accueillis »[8]. Le recours en diffamation de la directrice du Centre a été rejeté[9]. Qui plus est, beaucoup d’autistes de haut niveau, tels que Michelle Dawson, dénoncent « les terribles souffrances des premières semaines d’ABA. » Elle considère probable que « les pleurs, les cris perçants, et les fuites soient ceux du soulèvement d’un enfant qui est forcé de manière répétitive à abandonner ses points forts »[10]
  • Les députés ignorent la montée prometteuse de la thérapie par affinités, qui fait aujourd’hui l’objet d’études approfondies, or la HAS ne pouvait la prendre en compte en 2012 puisqu’elle n’existait pas encore. Bien que les fondateurs de cette méthode (Suskind, Dan Griffin) n’utilisent aucun concept freudien ; sa pratique orientée, non vers la rééducation, mais vers le développement des affinités du sujet, s’avère présenter de nombreuses convergences avec la pratique des institutions pour lesquelles la référence psychanalytique est majeure[11].
  • Les députés n’ont pas eu connaissance d’une étude de l’INSERM postérieure aux recommandations du 3ème plan autisme. Elle établit que suivis en psychothérapie 50 enfants autistes sont parvenus à des « changements significatifs » après seulement un an de prise en charge. Parmi les thérapeutes 80% se référaient à la psychanalyse, 20 % à des approches cognitivo-comportementales ou à celles du développement psychomoteur. L’étude confirme ce que met en évidence la thérapie par affinités, à savoir l’importance que l’enfant soit acteur du traitement et que le thérapeute soit en mesure de s’ajuster à ses capacités. Les auteurs concluent : « le point majeur qui découle de ces constatations est que l’approche psychothérapique mise en œuvre par le thérapeute dépend pour une part importante – et peut-être complètement – des possibilités qui lui sont offertes ou non par le fonctionnement de l’enfant, quelle que soit l’approche de référence »[12]. Mettant en évidence que des approches différentes peuvent les unes et les autres induire des changements significatifs, et que l’adhésion de l’enfant à la méthode proposée est un élément décisif, cette étude de l’INSERM est une invitation particulièrement probante à promouvoir la liberté de choix des traitements.

Les députés signataires semblent méconnaitre que la Fédération française de psychiatrie, qu’ils mettent en cause, ne se prononce pas quant à la psychanalyse avec les autistes, en revanche elle reste attachée à liberté de choix des traitements. Que l’Etat vienne à rompre avec ce principe en prenant parti dans des débats scientifiques d’une grande complexité n’a pas d’équivalent dans un régime démocratique et ne peut que rappeler des dérives totalitaires. Il fallait être Staline pour vouloir imposer la biologie de Lyssenko.

Les institutions orientées par la psychanalyse lacanienne ne pratiquent pas le packing avec les autistes. L’interdiction de celui-ci est cependant exemplaire d’une désinformation associée aux pratiques psychiatriques et psychanalytiques. Initialement nommé « emmaillotement humide », le packing est pratiqué en psychiatrie depuis le XIXème siècle. À l’encontre d’autres pratiques, dont on peut regretter qu’elles soient rarement critiquées (telles que la sismothérapie ou l’isolement), il n’avait jamais fait l’objet de plaintes de la part de patients hospitalisés. Ce n’est que depuis 2007, sous l’impulsion de certains parents d’autistes, que le packing est soudainement devenu une pratique maltraitante, voire une « torture ». Celle-ci est bien atypique puisque il est des autistes pour témoigner l’apprécier et en redemander[13]. Certes il en est d’autres qui le rejettent. Il ne devrait être imposé à personne – pas plus que ne devraient l’être les violences initiales de la méthode ABA.

L’opposition du Pr Golse au nom de la CIPPA[14] à l’initiative de résolution proposée à l’Assemblée nationale a immédiatement suscité les habituelles réactions outrancières (comparaison des psychanalystes aux nazis !) et toujours aussi mal informées. Répéter sans cesse dans les médias que les psychanalystes culpabilisent les parents et considèrent l’autisme comme une psychose tend à faire passer pour pertinentes auprès du grand public ces réductions simplistes. Or la fameuse « mère frigidaire » imputée aux psychanalystes est une notion introduite par Kanner qui n’était pas psychanalyste. La position nuancée de Bettelheim est sans cesse caricaturée : certes il considère parfois que le désir inconscient des parents serait à l’origine de l’autisme, mais il affirme aussi que celui-ci résulte d’une réaction propre de l’enfant à son environnement. Une psychanalyste telle que Frances Tustin, qui a marqué tout autant que Bettelheim l’approche psychanalytique française de l’autisme, se prononce très clairement dès les années 90 contre toute imputation de celui-ci au désir des parents. M. Mannoni a certes soutenu le contraire concernant les enfants « arriérés », ce que la moitié des autistes ne sont pas. Cependant la référence majeure dans le champ lacanien concernant l’autisme ne fut jamais M. Mannoni : dès 1980 ce furent les travaux de Rosine et Robert Lefort qui parurent incontournables. Or ceux-ci orientent très différemment. D’une part, ils laissent ouverte la question de la causalité de l’autisme ; d’autre part, ils s’employèrent à établir que l’autisme serait une structure subjective originale – différente de la psychose. Cette thèse trouve aujourd’hui crédit en se fondant sur des arguments nouveaux auprès de psychanalystes lacaniens. En matière d’approche psychanalytique de l’autisme, les médias et les détracteurs ne veulent connaître que Bettelheim et Mannoni ; les spécialistes citent au moins tout autant Tustin et les Lefort.

Certes il se trouve des parents pour attester de paroles blessantes proférées à leur égard par des psychanalystes ; mais combien aussi pour témoigner de menaces exprimées par des thérapeutes ABA : « si vous n’adoptez pas une méthode validée scientifiquement, votre enfant se suicidera ». L’incompétence n’est pas l’apanage d’une seule profession.

Vouloir donner force contraignante à des « recommandations » serait méconnaître qu’en matière de santé les vérités d’aujourd’hui peuvent ne pas être celles de demain. Cela conduirait à dresser un obstacle à toute tentative de faire progresser les connaissances sur la prise en charge des autistes, pourtant actuellement insuffisantes et incertaines. Les efforts pour figer le savoir ne font pas bon ménage avec le progrès.

Jean-Claude Maleval

Lire le projet de résolution n°4134 – cliquer ici

[1] Le projet de résolution n° 4134 déposé à l’Assemblée Nationale le 13 Octobre 2016 se trouve à la suite de ce texte en annexe.
[2] Weitlauf AS, McPheeters ML, Peters B, Sathe N, Travis R, Aiello R, Williamson E, Veenstra-Vander-Weele J, Krishnaswami S, Jerome R, Warren Z. Therapies for Children With Autism Spectrum Disorder: Behavioral Interventions Update. Comparative Effectiveness Review No. 137. (Prepared by the Vanderbilt Evidence-based Practice Center under Contract No. 290-2012-00009-I.) AHRQ Publication No. 14-EHC036-EF. Rockville, MD: Agency for Healthcare Research and Quality; August 2014, p. 79. http://www.effectivehealthcare.ahrq.gov/reports/final.cfm.
[3] Ibid., p. 80.
[4] Ibid., p. 79.
[5] L’expérimentation institutionnelle d’ABA en France : une sévère désillusion. (en collaboration avec M. Grollier). Lacan Quotidien n° 568 et 569. Février-Mars 2016.
[6] Cekoïa Conseil. Planète publique. Evaluation nationale des structures expérimentales Autisme. CNSA. Rapport final. Février 2015, p. 82.
[7] Ibid., p. 86.
[8] Dufau S. A Lille, le procès d’une méthode de traitement d’enfants autistes. Médiapart. 2 Juillet 2012. www. mediapart.fr
[9] Dufau S. Vinca Rivière et l’association Pas à Pas perdent leur procès face à Médiapart. 6 Mars 2015. http://www.mediapart.fr
[10] Dawson M. The misbehavior of behaviorists. Ethical challenges to the autism-ABA industry. [2004] En ligne sur No Autistics Allowed.
[11] Perrin M. s/d. Affinity therapy. Nouvelles recherches sur l’autisme. Presses Universitaires de Rennes. 2015.
[12] Thurin J.-M., Thurin M., Cohen D., Falissard B., «Approches psychothérapeutiques de l’autisme. Résultats préliminaires à partir de 50 études de cas», Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014), p.102-118, http://www.isir.upmc.fr/fles/2014ACLN3103.pdf
[13] En ce qui concerne le packing, cf l’excellente mise au point du Pr David Cohen. https://u2peanantes.files.wordpress.com/2015/08/edito-neuropsy-david-cohen-efbfbd-monsieur-franccca7ois-hollande-2016.pdf
[14] Golse B. Réaction à la proposition visant à l’interdiction de la psychanalyse dans l’autisme. https://blogs.mediapart.fr/bernard-golse

La cause de l’Autisme : Oui au libre choix de la méthode de soin

La cause de l’Autisme : Oui au libre choix de la méthode de soin

Pétition : Oui au libre choix de la méthode de soin – Non à l’interdiction de la psychanalyse

 

PRISE EN CHARGE DE L’AUTISME
OUI AU LIBRE CHOIX DE LA MÉTHODE DE SOIN
NON À L’INTERDICTION DE LA PSYCHANALYSE

 

Monsieur le président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les députés,

Nous voulons attirer votre attention sur la dérive liberticide de la proposition de résolution déposée par Monsieur Fasquelle et quatre-vingt-treize députés auprès de la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2016, invitant le Gouvernement à « promouvoir une prise en charge de l’autisme basée sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé », tout en l’invitant également « à condamner et interdire les pratiques analytiques sous toutes leurs formes car n’étant pas recommandées par la HAS ».

Nous sommes très surpris que cette proposition fasse suite à l’intervention du Président de la République qui, lors la Conférence nationale du Handicap, le 19 mai 2016, a souhaité que le 4e Plan Autisme soit celui « de l’apaisement et du rassemblement. Parce que nous devons avoir toutes les réponses et les réponses les plus adaptées, sans préjugés et sans volonté d’imposer une solution plutôt qu’une autre ».

Tout au contraire, l’orientation de cette résolution vise à faire adopter politiquement une position radicale dans un domaine complexe caractérisé par des données scientifiques qui ne permettent que de très prudentes recommandations.

Cette proposition procède clairement à un détournement des recommandations de la HAS sur au moins trois points :

  • en voulant transformer des recommandations en injonctions
  • en affirmant que les méthodes recommandées sont validées scientifiquement
  • en prétendant que la psychanalyse se trouverait dans la liste des méthodes non recommandées, alors que la HAS a pris soin, en l’absence de consensus entre experts quant à la pertinence de l’approche psychanalytique, de la classer dans la liste des méthodes non consensuelles. Non consensuelle ne veut pas dire non recommandée.

Chacun sait que les débats autour de l’autisme sont d’une extrême complexité. Son acception varie au gré des éditions des manuels de psychiatrie, et les divers travaux ne sont pas en mesure d’expliquer pourquoi son extension semble être devenue épidémique lors des dernières décennies, tandis qu’ils restent très prudents quand ils se prononcent sur la qualité des traitements éducatifs. Il fait consensus dans la littérature scientifique internationale que les traitements recommandés connaissent plus d’échecs que de réussites – ces dernières dans les méta-analyses atteignant à peine 50 %. Dès lors, sur quoi se fonde ce projet de résolution pour appeler à trancher dans des problèmes pour lesquels les spécialistes restent en de grandes incertitudes ?

Les députés signataires considèrent qu’il existe des « approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». La HAS se montre beaucoup plus prudente. Des trois méthodes recommandées (ABA, Denver et TEACCH), elle estime que seules les deux premières atteignent « une présomption scientifique » d’efficacité (grade B), la troisième « un faible niveau de preuve » (grade C). Aucune des trois ne parvient au grade A, celui de la validation scientifique. Par ailleurs, le programme de Denver, recommandé par la HAS, se fonde pour une part sur les concepts psychanalytiques de M. Malher. À partir de quelle dose de psychanalyse une pratique devrait-elle être interdite ?

Les députés signataires semblent méconnaitre que la Fédération Française de Psychiatrie, qu’ils mettent en cause, ne se prononce pas quant à la psychanalyse avec les autistes, en revanche elle reste attachée à la liberté de choix des traitements. Que l’Etat vienne à rompre avec ce principe en prenant parti dans des débats scientifiques, n’a pas d’équivalent dans un régime démocratique, et ne peut que rappeler cruellement des dérives totalitaires.

Vouloir donner force contraignante à des « recommandations » serait méconnaître qu’en matière de santé les vérités d’aujourd’hui peuvent ne pas être celles de demain. Cela conduirait à dresser un obstacle à toute tentative de faire avancer les connaissances sur la prise en charge des autistes, pourtant actuellement lacunaires et incertaines. Les efforts pour figer le savoir ne font pas bon ménage avec le progrès.

Mesdames et Messieurs les députés, il est plus que temps de faire entendre en ce domaine délicat la voix de la raison et que les professionnels engagés depuis de nombreuses années dans les soins et l’accompagnement des sujets autistes, enfants, adolescents et adultes, dans les secteurs de pédopsychiatrie et dans les institutions médico-sociales puissent poursuivre leur tâche dans un climat apaisé, en lien avec les parents et l’ensemble du milieu éducatif.

Mesdames et Messieurs les députés, le pluralisme des formations et des pratiques a toujours été l’orientation des politiques de santé publique, pour proposer aux familles et aux patients un libre choix éclairé pour les soins et les accompagnements. Ce projet de résolution déroge fondamentalement à cette orientation et, pour ces raisons, nous vous prions instamment de ne pas le soutenir.

 

Les 102 premiers signataires :

ABELHAUSER Alain, Professeur de psychologie clinique (Université Rennes 2), président du SIUEERPP.
ABRIEU Alain, psychiatre hospitalier, chef de pôle, CH Edouard-Toulouse (Marseille)
AFLALO Agnès, Psychiatre, médecin-chef du CMP Croix-Rouge française de Bagnolet, ancien praticien hospitalier.
ALBERTI Christiane, Présidente de l’École de la Cause freudienne, Maître de conférences, Département de psychanalyse Paris 8.
ALLIONE Marie, Psychiatre des hôpitaux honoraire, psychanalyste.
ANSERMET François, Professeur de pédopsychiatrie à l’Université de Genève, chef du service de psychiatrie d’enfants et d’adolescents aux Hôpitaux universitaires de Genève.
ANTONI Marc, psychiatre hospitalier, chef de secteur, CH Valvert (Marseille)ATTIGUI Patricia, Professeur des Universités , Professeur de psychopathologie et de psychologie clinique, Responsable du Master 2 Recherche de psychologie clinique
Université Lumière Lyon 2.
BASSOLS, Miquel, Président de l’Association Mondiale de Psychanalyse, Psychanalyste, doctorat de l’Université de Paris 8, Coordinateur de l’Instituto del Campo Freudiano en Espagne.
BIAGI-CHAI Francesca, Psychiatre des Hôpitaux , psychanalyste.
BONNET Fabrice, Endocrinologue au CHU de Rennes, Professeur de médecine à l’Université Rennes 1.
BORIE Jacques, Psychanalyste, Président de l’Association psychanalytique Rhône-Alpes (APRA).
BRAS Maxence, psychiatre hospitalier, CH Valvert (Marseille)
BRIOLE Guy, Psychanalyste, Professeur de psychiatrie. Ancien Directeur de l’École du Val-de-Grâce [2005-2007].
CABASSUT Jacques, Professeur de psychopathologie clinique (Université Nice Sophia Antipolis)
CALVET Éliane, Psychiatre, responsable Hôpital de jour Adolescents Aubervilliers.
CASTANET Hervé, Professeur des universités en psychopathologie clinique (Marseille), Président du Collège méditerranéen de psychanalyse (CMP).
CAUSSE Jean-Daniel, Professeur en études psychanalytiques (Université Montpellier 3), Directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Humaines et Sociales.
CHEMLA Patrick, Psychiatre et psychanalyste, Chef de pôle Reims, Responsable du Centre ARTAUD.
CIOSI Anna, Psychiatre, praticien hospitalier, Centre hospitalier de Bastia, SESSAD TSL
CIOSI Jean-Claude, ancien assistant des Hôpitaux psychiatriques de la Seine, Psychiatre des hôpitaux honoraire, Psychanalyste
CLARISSE Hélène, psychiatre hospitalier, CH Valvert (Marseille)
CLEMENT Marie-Noëlle, Médecin-directeur de l’Hôpital de Jour pour Enfants du Centre André Boulloche, Vice-présidente de l’Association PREAUT.
CREMNITER Didier, Professeur de psychiatrie à Paris V, psychiatre référent des Cellules d’urgence médico-psychologique.
CRESPIN Graciela, Psychanalyste, Présidente de PREAUT.DE HALLEUX Bruno, Psychologue, Directeur thérapeutique de l’Antenne 110.
DELCOURT Christophe, responsable médical IME et ESAT (Haute-Marne)
DELION Pierre, Professeur de pédopsychiatrie au CHRU de Lille.
DEVAUX Marie-Pierre, Pédopsychiatre, Responsable du Pôle de pédopsychiatrie de Haute-Marne.
DOUVILLE Olivier, Maître de conférences en psychologie clinique (Université Paris X – Nanterre), Directeur de la revue Psychologie clinique.
DRAPIER Jean-Pierre, Pédopsychiatre, Médecin-Directeur de CMPP.
ELIACHEFF Caroline, Pédopsychiatre, psychanalyste.
FLEURY Cynthia, Professeur à l’American University of Paris, philosophe, psychanalyste.
GARNIER Marie-Hélène, Pédopsychiatre, Directrice CAMSP de l’Aube.
GIANSILY Pierre, pédopsychiatre, Centre hospitalier, Bastia
GIORNO Francine, Psychiatre, Médecin-chef de l’Établissement de santé mentale de la MGEN de Rouen, Praticien hospitalier.
GOLSE Bernard, Chef de service de psychiatrie infantile à l’Hôpital Necker-Enfants malades (Paris), Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris Descartes, Président de la CIPPA.
GONON François, Neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS Université de Bordeaux.
GORI Roland, Professeur émérite de psychologie clinique (Université Aix-Marseille).
GORINI Ligia, Psychiatre, Praticien hospitalier, Chef de pôle de psychiatrie infanto-juvénile à l’EPS de Ville-Evrard.
GRANGAUD Naïma, Médecin directeur, Centre de jour Marie-Abadie
GRAZIANI Nicole, Psychiatre, Chef de pôle, Vice-présidente de la C.M.E. du Centre Hospitalier de Bastia.
GROLLIER Michel, Professeur de psychologie clinique (Université Rennes 2).
GROSBOIS Catherine, Psychiatre, praticien hospitalier, Responsable des structures internes adolescents Nouvel Hôpital Navarre, Evreux.
GUIVARCH Armelle, Psychiatre hospitalier à l’E.P.S.M de Caudan (56).
HAM Mohammed, Professeur des universités ( psychologie et psychopathologie clinique) , université de Nice Sophia Antipolis.
HOCHMANN Jacques, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant, Médecin honoraire des hôpitaux de Lyon, auteur de Histoire de l’autisme, prix Demolombe de l’Académie des Sciences Morales et Politiques.
HOFMANN Christian, Professeur et directeur de l’Ecole Doctorale Recherches en psychanalyse à l’Université de Paris Diderot.HOLVOET Dominique, Psychologue, Directeur du Courtil.
ISSARTEL Marie-Hélène, Médecin responsable de l’Hôpital de jour pour enfants de Bourgoin-Jallieu (Nord Isère).
JUSKEWYCZ Nicolas, psychiatre, pédopsychiatre, clinicien-chercheur INSERM.
KELLER Pascal, Professeur émérite de psychologie clinique (Université de Poitiers).
KRISTEVA Julia, psychanalyste, membre titulaire formateur de la SPP, professeur émérite de l’Université Paris 7, écrivain.
LACADÉE Philippe, Psychiatre, Président de l’Association psychanalytique Aquitania (APA, directeur de la collection Je est un autre aux Editions Michèle.
LANDMAN Patrick, Psychiatre, Président de Stop DSM.
LAURENT Éric, Psychanalyste, ancien Président de l’Association Mondiale de Psychanalyse auteur de La bataille de l’autisme.
LE MALEFAN Pascal, Professeur de psychologie clinique, (Université de Rouen).
LECOEUR Bernard, Psychanalyste, Président de l’Association Septentrionale de Psychanalyse (ASP).
LEGUIL François, psychanalyste, Ancien Praticien Hospitalier à l’Hôpital Sainte-Anne (Paris), Ancien Attaché des Hôpitaux de Paris.
LÉVY Marc, Psychiatre, Président de l’Association psychanalytique de la voie Domitienne (APVD), président du collège des humanités (Montpellier).
MAHJOUB Lilia, Psychanalyste, Déléguée générale de l’Entente psychanalytique (12 Associations psychanalytiques de praticiens affiliées)
MALEVAL Jean-Claude, Professeur émérite de psychologie clinique (Université Rennes 2).
MARRET Sophie, Professeur au Département de psychanalyse, Paris 8, co-directrice.
MARTIN-MATTERRA Patrick, Professeur de psychopathologie, Doyen de la Faculté de Sciences sociales et humaines (UCO Angers).
MATET Jean-Daniel, Psychiatre, praticien hospitalier honoraire, psychanalyste, président de l’Euro Fédération de psychanalyse.MELLIER Denis. Professeur de Psychologie clinique et psychopathologie. Directeur du Laboratoire de Psychologie EA 3188. Université de Franche-Comté.
MENDELLA Laetitia, Psychiatre, Directeur médical CMPP/BAPU Haute-Corse, Psychiatre du CRA Corsica.
METZ Laurence, Pédopsychiatre, responsable thérapeutique de l’IME, de l’ITEP et du SESSAD Trévidy à Morlaix.MILLER Gérard, Professeur au Département de psychanalyse, Paris 8, co-directeur.
MORILLA Esteban, Psychiatre, praticien hospitalier, responsable thérapeutique de l’Hôpital de jour l’Île Verte et du CATTP « A petit pas », CH de Cadillac/Garonne.
NAJMAN Thierry, Praticien hospitalier, Chef de pôle Centre hospitalier de Moisselles.
OTTAVI Laurent, Professeur de psychologie clinique (Université Rennes 2)
PARIENTE Francine, maître de conférences honoraire de psychologie clinique, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II).
PARIENTE Jean-Claude, Professeur honoraire de philosophie, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II).
PERA-GUILLOT Valérie, Psychiatre, Praticien hospitalier, Chef de pôle, ex Présidente de CME (Nouvel hôpital de Navarre, Eure).
PERRIN Myriam, Maître de Conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Responsable du Groupe Recherche Autisme (Université Rennes 2).
PIERRE Richard, Directeur médical du CMPP Haute-Marne
PIGEON Hélène, psychiatre hospitalier, CH Valvert (Marseille)
POMMIER François, Psychiatre, Professeur de psychopathologie (Université Paris X – Nanterre).
RABANEL Jean-Robert, Psychiatre, Responsable thérapeutique du CTR de Nonette, Président du Cercle Psychanalytique du Centre (CPC).
REY-FLAUD Henri, Professeur émérite en études psychanalytiques (Université Montpellier 3).
ROLLIER Frank, Psychiatre, Psychanalyste, Président du Collège Lacanien  de Recherches Psychanalytiques (CLRP).
ROUAM Francis, Psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, médecin-chef de l’Espace jeunes Adultes.ROUILLON Jean-Pierre, Directeur du Centre thérapeutique et de recherche de Nonette.
ROUSSEL Hervé, Pédopsychiatre, Chef de service de Pédopsychiatrie à Bastia.
ROY Daniel, Psychiatre, Secrétaire général de l’Institut psychanalytique de l’Enfant.
SAHEBJAM Mani, psychiatre hospitalier, CH Edouard-Toulouse (Marseille)
SALIGNON Bernard, Professeur en études psychanalytiques (Université Montpellier 3).
SAUVAGNAT François, Professeur de psychopathologie (Université Rennes 2).SCHAUDER Silke, Professeur de psychologie clinique et pathologique. Université d’Amiens.
SCHMIT Gérard, ancien professeur de pédopsychiatrie et ancien chef de secteur, ancien président de la Fédération Française de Psychiatrie.
SERVAIS Anne, Pédopsychiatrie, Praticien attaché, Centre hospitalier, Bastia.
SIDON Pierre, Psychiatre, Praticien Hospitalier, Directeur de CSAPA.
SMADJA Annie, Pédopsychiatre, Directeur médical du CMPP d’Ajaccio et médecin coordinateur de l’EDAP.
SOLANO Luis, Psychiatre, Ancien Praticien Attaché à Sainte Anne, Psychanalyste, Médecin Coordonnateur de l’ITEP Le Coteau à Vitry s/Seine.
STAVY Yves-Claude, Psychiatre des hôpitaux Honoraire, Ancien chef de service de Psychiatrie infanto-juvénile à l’EPS Ville-Evrard, fondateur de l’Institut Hospitalier Soins-Études d’Aubervilliers.
STEVENS Alexandre, Psychiatre, Directeur thérapeutique du Courtil, Enseignant à la formation continue de l’Université Libre de Bruxelles.
STRELISKI Pierre, Psychiatre, Président de l’Association psychanalytique Val de Loire Bretagne (APVLB).
VANIER Alain, Psychiatre, Professeur de psychopathologie (Université Paris Diderot)
VINCENT Jean-Didier, Neurobiologiste, Neuropsychiatre. Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine.
WARGNY Éric, Pédopsychiatre de secteur infanto-juvénile.
WOERLÉ Jean-Louis, Psychiatre, Président de l’Athénée psychanalytique d’orientation lacanienne (APOL).

La cause de l’Autisme : Pour la défense de la pluralité des approches

Pour la défense de la pluralité des approches, la cause des parents et la voix de l’autiste – Ivan Ruiz

 

Par Ivan Ruiz, président de TEAdir, association des parents et des familles des personnes avec TSA
Audience devant le Comité Enfance du Parlement de Catalogne le 15 novembre 2016.

Monsieur le Président,

Chers membres de la Commission,

En tant que président de l’Association TEAdir, association des parents et des familles des personnes avec autisme, je tiens à vous remercier très sincèrement pour votre invitation à participer à cette audience devant le Comité Enfance du Parlement de Catalogne. Dans le cadre de cette Chambre, pluriel et démocratique, nous souhaitons pouvoir poursuivre un débat soutenu dans le temps.

Je voudrais toutefois tout d’abord commencer mon intervention en exprimant un malaise qui nous habite, et je parle au nom de nombreux parents que je représente aujourd’hui, qui se sentent forcés, poussés dans une confrontation stérile des traitements de l’autisme, ce qui nous éloigne de nos objectifs fondateurs.

L’Association TEAdir a été créée pour faire valoir la nécessité d’une sensibilité différente, dans la compréhension et le traitement de l’autisme, de celle qui a été représentée dans les revendications que l’Association Aprenem a faite au Congrès des députés en 2010.

Nous aimerions penser que leurs demandes ont été faites avec les meilleures intentions : ils réclamaient une amélioration de la prise en charge des personnes atteintes d’autisme. Mais, à notre avis, ils le font de la pire de manières qui soit, c’est à dire en prévoyant cette amélioration à partir d’une approche unique, soutenue par l’administration, à savoir le comportementalisme. Le positionnement de l’organisation que je représente est tout autre, et l’invitation à parler ici aujourd’hui – de mon double rôle de père et de professionnel – me permet de vous l’exposer.

  1. L’action politique en termes d’autisme

Nous croyons fermement que l’offre publique de soins pour les personnes avec autisme et leurs familles, est une question qui doit être réglée par l’administration et non par les professionnels qui sont impliqués directement dans la prise en charge des difficultés qu’une personne autiste traverse tout au long de sa vie. Comme le dit le sociologue Marcel Gauchet, « la politique est le lieu d’une fracture de la vérité. » En ce qui concerne l’autisme, ni les parents, ni les professionnels, ni les politiciens, ne sont en mesure de pouvoir affirmer des vérités absolues.

  1. Un lieu de connaissances professionnelles

Dans le débat sur l’autisme en Catalogne, au cours des dernières années, il y a eu un glissement qui nous inquiète. Nous sommes passés de ce qui devrait être une amélioration de la prise en charge des enfants autistes, à une bataille pour le traitement « le plus efficace ». Nous avons entendu des positions qui tombent dans l’exercice d’un excès de pouvoir. Bien que nous les parents pouvons apporter notre expérience au jour le jour, et au fil des années avec nos enfants, il ne nous appartient ni de développer un savoir épistémique, ni de contribuer à des consensus professionnels. Nous avons été poussés à intervenir dans un débat professionnel qui ne nous appartient pas. Nous pensons que cela ne mènera nulle part. Si nous voulons être entendus en tant que parents, nous sommes maintenant contraints de participer à ce débat.

  1. L’attaque contre la psychanalyse

Bien que la Catalogne a depuis 2012, un Plan global sur l’autisme, qui a émergé du consensus d’un large éventail de professionnels et du travail conjoint avec le ministère de l’Éducation, de la Santé et de la Protection sociale, on continue à remettre en question la formation et l’exercice de certains professionnels travaillant dans le secteur public. L’association Aprenem autisme, que vous entendrez plus tard, croit avoir trouvé la cause des maux de notre système public : les psychanalystes. Ils les désignent comme étant à l’origine du manque d’amélioration des enfants avec autisme et proposent pour y remédier, les techniques comportementales comme étant les seules scientifiquement acceptables.

  1. Les preuves scientifiques

La foi dans la science, qui est appelé scientisme, est en train de rendre un mauvais service au développement, lent mais régulier, de la communauté scientifique internationale dans le domaine de l’autisme. La très vénérée « preuve scientifique » a été prise par certains, comme le flambeau de leurs revendications, au point de dénaturer et de fabriquer ces preuves présumées, qui n’ont pas pu encore être réfutées ni confirmées. La méthode comportementaliste ABA (Applied behavior analysis), développée aux États-Unis dans les années 60 par Lovaas, a été dénoncée par les usagers et leurs familles, en raison de leurs agissements douteux du point de vue de l’éthique. Les méthodes basées sur l’ABA ont montré une efficacité limitée dans des contextes très spécifiques et ciblées sur certains comportements également très spécifiques. Aucune généralisation de cela n’a jusqu’à présent été démontrée sur la personne autiste. Et s’il s’agit des preuves, au pluriel, nous comptons des études montrant les résultats obtenus par la psychanalyse et par d’autres approches thérapeutiques. La foi aveugle actuelle, envers les « preuves scientifiques », révèle une alliance féroce entre la science et des intérêts du marché, contre les expériences singulières.

Nous, parents d’enfants autistes, vivons tous les jours, et tout au long de notre vie, avec l’autisme de nos enfants, et nous ne croyons pas qu’il y ait aucun autre évidence que celle que nous pouvons vérifier chez nos enfants, à savoir l’importance de l’attention portée à la singularité de leur être au monde. La preuve que nous vous demandons aujourd’hui de considérer n’est autre que celle de l’évidence de notre témoignage. Nous vous demandons aujourd’hui de prendre en considération notre témoignage, ainsi que celui de nos enfants.

  1. Le droit à la liberté de la formation

Notre pays compte avec une variété de professionnels impliqués, qui à partir de leurs connaissances, interviennent lors de divers moments et situations que traverse une personne autiste. Ces professionnels ont gardé jusqu’à aujourd’hui le droit de se former de la manière qu’ils jugeaient la plus appropriée devant le défi que suppose l’approche de l’autisme d’un enfant, d’un adolescent ou d’un adulte, et ceci en fonction de leur propre éthique. Nous demandons que ce droit ne soit pas violé, ni ébranlé, car nous avons besoin de l’implication soutenue et éclairée de ces professionnels. Ils contribuent, toujours avec pertinence et respect, à l’élaboration du projet de vie de nos enfants. Ils représentent pour nous, parents d’enfants autistes, un soutien solide et nous avons besoin d’eux, à chaque étape de la vie de nos enfants.

  1. Pluralité des approches dans l’autisme

Le domaine de la prise en charge précoce est actuellement au cœur des politiques de santé.

Nous comptons en Catalogne avec un réseau de Centres de prise en charge précoce sans équivalent dans le reste de l’Etat.

C’est dans ces lieux de soin que le moment délicat de l’annonce du diagnostic d’autisme est accompagné.

L’autisme se découvre et se cristallise au cours des premiers mois et années de vie de l’enfant. Il n’est pas habituel d’assister à l’apparition progressive des symptômes. Il y a plutôt, presque toujours, une irruption soudaine d’un rejet généralisé de l’enfant envers l’autre. Les interventions qui seront faites, devront être dirigées de façon à aider l’enfant à entrer dans le lien à l’autre, mais surtout, et cela est ce que nous apprécions le plus, en respectant son temps et sa temporalité.

Ce réseau de centres multidisciplinaires et pluriels de par la formation des professionnels qui les composent, a récemment été décrié par la présence excessive alléguée de psychanalystes. Je tiens à préciser devant ce comité que dans aucun de ces lieux, ils n’y travaillent en tant que tels. Par contre, vous pouvez trouver différents professionnels qui s’orientent de la psychanalyse pour faire face aux difficultés des enfants atteints d’autisme, mais aussi d’autres qui suivent par exemple, les méthodes cognitivo-comportementales. Dans tous les cas, vous ne trouverez pas une prédominance d’une approche plus que d’une autre. D’où provient alors la propagation de l’idée qu’il existerait une prédominance de l’approche psychanalytique dans les soins précoces ? Nous croyons que le respect et l’attention donnée à l’enfant en tant que sujet au cours de sa construction, est ce qui fait que les interventions de ces professionnels restent empreintes d’une attitude d’écoute et d’accompagnement. Cela est pour sûr, une priorité dans l’approche psychanalytique, mais cela nous semble ne pas lui être une exclusivité. Nous constatons dès lors qu’un malentendu a pris la forme d’une attaque basée sur la présomption d’un dysfonctionnement du système.

  1. L’autisme et l’éducation

En ce qui concerne l’éducation, la situation dans les écoles se détériore. L’inclusion éducative est passée d’être un droit pour tous les enfants à être une obligation. Cette inclusion imposée des enfants autistes est difficile compte tenu de leur vulnérabilité et de la fragilité qui les caractérise par rapport à la demande des adultes. Nous attendons le nouveau décret sur l’inclusion annoncé par le Gouvernement de Catalogne, mais nous nous demandons : De quoi parlons-nous quand nous parlons d’inclusion ? S’agit-il seulement de l’inclusion de l’enfant dans un bâtiment donné reconnu comme étant ordinaire – « normal » comme on dit –, ou plutôt de l’inclusion de l’enfant dans le lien avec les autres? N’est-ce pas cela qui est également attendu des enfants dans les centres spéciaux ou spécifiques qui existent dans notre réseau de lieux d’accueil publics? Les écoles appelées « spéciales » sont pour certains enfants autistes, la meilleure ressource et opportunité pour se construire un environnement au sein duquel il ne leur soit pas nécessaire de se montrer réfractaires.

D’une part, nous considérons que la diversité des parcours parmi les différentes institutions éducatives devrait être aussi riche et diversifiée afin que les enfants qui sont dans l’impossibilité d’être inclus dans les classes ordinaires puissent le faire dans d’autres Centres. Ceci est ce qui existe à l’heure actuelle et nous ne pouvons pas le perdre.

D’autre part, il convient de noter l’erreur évidente qui serait de faire porter sur l’école ordinaire la responsabilité du traitement de l’autisme. Le travail de coordination en réseau des différents services concernés, est ce qui se révèle être de plus en plus avantageux, pour localiser également l’enfant autiste comme protagoniste du processus éducatif.

Sans aucun doute, la crise économique actuelle a laissé des nombreuses écoles sans les ressources suffisantes, mais surtout, a nui à la confiance dans ce que les équipes éducatives font : accueillir et favoriser l’émergence du consentement à être éduqué chez l’enfant avec autisme.

L’autisme nous confronte à une irréductible singularité. Chaque enfant autiste l’est à sa manière. Si cela est vrai pour tout être humain, ça l’est davantage encore dans le cas de l’autisme. Impossible de traiter tous les autistes de la même manière. C’est une vérité toujours ainsi vécue par les parents, les éducateurs, les enseignants et les thérapeutes. Par conséquent, aucun traitement, aucun projet éducatif, qui commence à partir d’un « pour tous les autistes, la même chose », ne peut recevoir notre confiance. Nous demandons donc clairement que les praticiens qui s’orientent de la psychanalyse puissent continuer de travailler et d’accompagner nos enfants dans les différentes institutions de soins de notre pays. Cela représente pour nous un droit fondamental.

  1. La rééducation

Les enfants autistes réveillent chez les adultes un désir de restituer à l’enfant tout ce qui est interprété par eux comme ce qui leur manque : manque de parole, d’attention, d’intérêts, d’obéissance, etc. Cette réponse de l’adulte oublie souvent que ce que l’enfant autiste ne fait pas en empruntant les chemins standardisés, il y est suppléé d’une autre façon. Les techniques de rééducation, qui sont aujourd’hui exigées pour tous les autistes, négligent cela et demandent à l’autiste qu’il réponde aux idéaux des adultes « normaux » qui l’entourent. Elles prétendent apprendre à l’autiste à ne pas être autiste. C’est comme si ces techniques cherchaient à apprendre aux aveugles à voir en les soumettant à des images, au lieu de les aider à développer leurs autres sens.

Chers membres de la Commission de l’Enfance, ce que nous souhaitons vous transmettre, à partir de ces huit points, est un argument en réponse à l’attaque à laquelle nous sommes confrontés ces dernières années. Cette attaque vise les piliers fondamentaux de notre société catalane. Cette société a réussi à tisser un réseau de soins dans l’éducation publique ainsi que dans le tissu social et associatif qui s’est construit pendant des décennies de démocratie.

La volonté d’ingérence dans les modèles publics ne devrait pas être exercée sans un dialogue et un consensus. Toute intervention unilatérale ne pourra provoquer qu’une opposition. Il est important de se méfier d’un collectif de parents qui s’érige en unique porte-parole d’une cause, fusse-t-elle légitime.

Je voudrais maintenant vous parler d’Hector, mon fils. Lorsque nous avons constaté que les choses n’allaient pas comme elles auraient dû aller, il avait presque deux ans. Je me souviens très bien de la première psychologue d’un service public que nous avions contactée. Lors de cette première visite, elle nous avait annoncé qu’elle ferait passer à notre fils un des tests qui sont utilisés occasionnellement pour savoir s’il s’agit d’autisme. Elle sortit alors un livre de sa boîte et le lui donna. Elle nous dit vouloir évaluer la façon dont il manipulait les objets. Hector le prit avec les deux mains et tourna immédiatement les rabats du livre, mais en sens inverse, jusqu’à ce qu’il obtienne un son, un « crac » en forçant sur le dos du livre. Ensuite la psychologue, très sûre d’elle, a rempli la case correspondante du test, en nous faisant savoir qu’Hector ne manipulait pas correctement les objets.

Aujourd’hui, Hector a presque onze ans. Au-delà des difficultés actuelles que je n’aborderai pas ici, il est maintenant passionné de musique, tout particulièrement les Variations Goldbergde Bach, surtout la première version que Glenn Gould fit dans les années 1956. Hector a l’oreille absolue, joue du piano, mais extrait également des sons de toutes sortes d’objets. Il enregistre dans son iPad ses propres compositions improvisées, en synchronisant, par exemple, les sons d’un clavier, le bruit frénétique produit par un verre qui tourne, et le bruit de la chasse d’eau des toilettes. Ses compositions sont faites dans un style qui rappelle l’expérimentation musicale infantile de musiciens contemporains célèbres, comme Robert Gerhard ou Oliver Messiaen. Nous ne doutons plus aujourd’hui que son intérêt pour la musique, les sons, les bruits, le silence, lui vienne de ce premier objet d’intérêt : l’objet sonore. Loin de sous-estimer sa première activité qui était d’extraire le bruit des livres ou des anneaux en les faisant tourner, le travail qu’il débuta ensuite auprès de la psychanalyste qui le reçoit encore jusqu’aujourd’hui, est ce qui lui a permis d’aller au-delà de son autisme, au-delà de ce qui au départ commença comme une répétition ad libitum,comme une obsession stérile, diraient certains, d’aller au-delà d’un comportement qui avait été enregistré dans ce test comme un dysfonctionnement. Je pense que si nous avions accepté la proposition comportementaliste de modifier ses comportements « inutiles », nous aurions sérieusement entravé sa recherche et son invention si singulière.

Par ailleurs, les livres qu’il aime le plus en ce moment sont ceux qui contiennent un grand nombre de pages. Hector les utilise pour pouvoir suivre la numérotation des pages et prononcer leur numéro en espagnol, catalan et anglais. Maintenant, il a appris à lire et à écrire d’une manière qui est très liée aux sons des mots qui désignent les nombres et les lettres. Le centre dans lequel il est scolarisé, qui a su favoriser tous ces progrès, sait bien qu’il est essentiel de respecter le plaisir qu’il obtient à partir de cette exploration et qu’il est important de ne pas chercher à en faire un apprentissage formel. C’est une condition incontournable pour qu’il puisse continuer à soutenir son intérêt.

Pour conclure, je voudrais expliquer quelque chose que, depuis notre association TEAdir, nous apprenons des enfants atteints d’autisme. Donna Williams, que nous connaissons à travers ses témoignages publiés, fait référence à son expérience comme autiste en disant que, pendant son enfance, elle se débattait dans une lutte constante pour, d’une part maintenir le monde extérieur loin d’elle, et d’autre part chercher à l’atteindre. Ceci est la vraie bataille que mène chaque enfant autiste, en se débattant contre ce qui peut devenir inquiétant, que ce soit le trop de paroles ou au contraire le silence. Nous considérons l’autisme comme le gel d’un enfant juste avant le moment de son entrée dans la parole et dans le lien avec l’autre. C’est à ce moment précis qu’il s’arrête, s’en protégeant à travers l’installation de circuits restreints à partir desquels il obtient une satisfaction qui lui est absolument précieuse, nécessaire. Nous comprenons ainsi l’allusion du psychanalyste Jacques Lacan faisant de l’autisme le stade natif de tout sujet. Pour entrer dans le champ de l’autre, l’enfant doit consentir à perdre quelque chose. Lorsque cela n’advient pas, se déchaîne la symptomatologie dite autistique qui place les parents face à une énigme qui ne peut pas être résolue avec des propositions standardisées.

Un enfant autiste est d’abord et avant tout un enfant, qui est immergé dans deux processus très complexes :

  1. Se protéger de la présence des autres, qu’il ressent comme agents d’une exigence à renoncer à ses objets, à ses circuits et à ses façons d’obtenir à travers eux une constante satisfaction.
  2. Éloigner les adultes de tout ce qui peut lui servir à construire sa version propre de la façon dont doit fonctionner le monde autour de lui. Cette construction, souvent invisible aux yeux des adultes et étrange au sens commun, devient vite son centre d’intérêt, mais aussi une source à partir de laquelle extraire un sentiment de vie.

Si la psychanalyse nous a permis de pouvoir saisir la singularité de nos enfants au sein de leur autisme, c’est parce que les professionnels qui s’orientent de cette approche, – des psychologues très certainement, mais aussi des orthophonistes, des physiothérapeutes, des psychomotriciens, des pédiatres, des enseignants, des éducateurs musicothérapeutes, entre autres, – restent particulièrement attentifs à la façon dont un enfant autiste extrait a minima un sens à la vie. N’est-ce pas ce à quoi aspire n’importe qui parmi nous ?

Enfin, nous défendons l’idée que l’attention portée à l’autisme ne peut être autre que globale et multidisciplinaire :

– La globalité implique que l’aide apportée à l’enfant de façon ambulatoire ne suffit pas. L’attention doit également inclure l’accompagnement des familles, l’adaptation du milieu scolaire aux besoins spécifiques de l’enfant, et l’adéquation des espaces de loisirs. C’est de fait, le modèle promu par la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

– Une approche multidisciplinaire devient dès lors essentielle pour répondre aux divers besoins de la personne tout au long de sa vie. Au-delà des approches, des techniques ou des traitements, au-delà des soins aux personnes, promus par les directives européennes en vigueur, nous devons répondre aux problématiques, complexes dans certains cas, qui surviennent surtout lorsque le sujet entre dans la puberté et l’âge adulte.

Nous sommes conscients que ceci n’est pas l’objet de cette Commission. Nous avons à traiter, – administrations, professionnels, politiciens et familles –, une question beaucoup plus urgente. Que des adultes avec autisme, ou avec un trouble mental sévère, également certains adolescents avec un diagnostic d’autisme, tous déjà évalués par la CAO (Service d’évaluation et d’orientation pour les personnes handicapées), qui a été favorable au service résidentiel au vu de leur impossibilité réelle à vivre et à être soutenus par leurs familles, se voient refuser ressources et aides aux soins par les services sociaux et de santé, du simple fait d’avoir atteint l’âge de la majorité. Je veux ici mentionner de façon spécifique certains des jeunes qui accompagnent notre association et qui sont dans cette situation : Alex Peña, Roman Pise et Carlos Lozano.

Dans notre association, nous sommes témoins de situations d’urgence auxquelles sont confrontées certaines familles. Face aux crises sévères de leurs enfants, il ne leur reste qu’un seul moyen pour y faire face : l’hospitalisation. De plus elles doivent obéir à l’exigence supplémentaire de leur présence obligatoire pendant toute la durée de l’admission. Admission qui se fait d’ailleurs dans une absence totale d’approche thérapeutique, avec des prescriptions de fortes doses de médicaments, avec aussi un système de contention pour maintenir attachés le jeune pendant les périodes de crise les plus aiguës.

Les enfants autistes sont au centre d’une lutte acharnée, dans laquelle des intérêts de toutes sortes sont liés. Mais nous avons devant nous une réalité que nous ne pouvons pas ignorer : quels modèles de soins pouvons-nous offrir aujourd’hui aux adolescents et aux adultes qui n’ont pas trouvé une solution efficace pour donner un minimum de sens à leur vie ?

En tant qu’Association TEAdir, nous vous demandons donc:

  1. De promouvoir le débat d’idées autour de l’autisme.
  2. D’accueillir et recenser les différentes positions sensibles autour de cette question si complexe.
  3. De protéger les droits fondamentaux de l’exercice de nos professionnels et de la formation professionnelle qu’ils choisiront librement.
  4. De demander leur déclaration explicite aux divers groupes des professionnels concernés, ainsi qu’aux différentes écoles de psychanalyse, concernant la formation de leurs professionnels et l’éthique de leur pratique.
  5. De répondre aux diverses demandes des associations qui sont représentées aujourd’hui et d’autres qui travaillent ardemment pour l’amélioration de l’autisme de ses adhérents.

Nous défendons la pluralité des approches et le droit démocratique des parents à choisir le type de traitement qu’ils jugent le plus approprié pour leurs enfants. C’est notre cause en tant que parents. Tout ce que nous dirons de l’autisme de nos enfants, sera issu de notre propre interprétation. Les enfants autistes ont une relation directe avec l’ineffable, et c’est à vous et à nous qu’il appartient d’y répondre.

Ivan Ruiz, président de TEAdir

Traduction : Marina Alba de Luna